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GŒTHE ET LE GERMANISME

Il est trop vrai qu’on ne lit pas les classiques. Je parle pour moi, bien entendu ! Du moins cette guerre nous aura-t-elle rendu le service de nous faire lire quelques classiques allemands. En ce moment, où les susceptibilités nationales sont, chez nous, à l’état suraigu, chacun éprouve le besoin de vérifier ses vieilles admirations, et, tout particulièrement, de réclamer leurs titres à ces grands hommes de Germanie que, depuis un siècle, nous exaltons de confiance. Il ne s’agit nullement de démolir les autels consacrés, si excusables d’ailleurs que soient, dans les circonstances actuelles, les excès d’un ressentiment même aveuglé par l’indignation. Il s’agit de regarder bien en face la figure du dieu, et, sans se laisser éblouir par son auréole, de le dévisager comme il faut, pour voir d’où il nous vient, à quelle famille ou à quelle race il appartient. Sous cette draperie si noble, quelle espèce d’âme se cache ? Les idées qui se pressent derrière ce grand front sont-elles en accord avec le plus pur de notre pensée française, et, en fin de compte, avec la pensée commune, depuis des siècles, à tous les civilisés ?

Parmi ces dieux, ou demi-dieux, devant qui nous fléchissons bénévolement le genou, sans y regarder de trop près, Gœthe, l’Olympien de Weimar, est sans contredit au premier rang, s’il n’est le premier de tous. Or, nos romantiques ont tellement épaissi autour de lui la fumée de l’encens que nous ne devinons plus que confusément sa silhouette[1]. Et comme son œuvre n’est pas facilement maniable, qu’il s’en dégage, de proche en

  1. A défaut de Gœthe lui-même, il conviendrait assurément de relire l’Essai sur Gœthe d’Edouard Rod, qui, un des premiers chez nous, a su juger l’Olympien avec autant d’indépendance que de justice. Cet Essai a paru en plusieurs articles dans la Revue en 1895, 1896 et 1897. Il a été depuis publié en volume à Paris, Librairie académique, et à Lausanne, Payot, éditeur.