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étaient très mal assortis ensemble, mais qui y étaient à l’état d’hostilité les uns contre les autres, ou peu s’en faut. Jamais on ne vit une troupe moins homogène. Les officiers allemands qui la commandaient ou la dirigeaient ont eu beaucoup à faire pour l’amener jusqu’au canal. Après l’échec de l’expédition, elle s’est débandée et l’indiscipline y a pris une forme violente : on a échangé mutuellement des coups de fusil. Une armée pareille ne pouvait pas être bien dangereuse : il fallait cependant en prévoir la réorganisation et le retour comme possibles. Les Allemands se vantaient de la reformer ou d’en former une nouvelle en Syrie ; ils annonçaient l’intention de revenir à la charge et, non contens de soulever l’Egypte contre l’Angleterre, ils se proposaient aussi de soulever la Perse et d’y détruire l’influence britannique. Cet ensemble de projets allemands se rattache à celui de la guerre sainte, qui devait tourner tout le monde islamique contre les Alliés, sans oublier l’Italie : ce n’est pas celle qui en a le moins souffert, ou plutôt c’est la seule qui en ait un peu souffert en Libye. La guerre sainte a d’ailleurs complètement échoué et l’unique résultat de ces vastes entreprises a été que la Porte a perdu le dernier reste d’autorité qu’elle avait encore sur l’Egypte. C’était peu de chose en réalité, mais on a pu voir là le commencement de la dislocation finale. Quoiqu’il en soit, l’Angleterre a pensé qu’en tirant le canon contre Smyrne et en s’emparant de la place, une menace aussi directe obligerait la Porte à renoncer à d’autres entreprises et à concentrer ses efforts davantage. La canonnade des Dardanelles a eu le même objet, tout en s’en proposant un autre d’un caractère plus général. Les Dardanelles, le Bosphore, Constantinople touchent à des intérêts qui sont communs à toute l’Europe. Il n’en est pas de même de Smyrne, bien qu’elle intéresse plus d’une Puissance ; mais, par sa situation, elle permet à qui s’y établirait pendant la guerre actuelle d’interrompre les communications de la Porte avec les différentes parties de l’Empire. Smyrne est assez rapprochée des Dardanelles pour influer sur les opérations qui s’y déroulent et bien placée sur la rive asiatique pour surveiller jusqu’à une longue distance ce qui pourra se passer, ou se préparer sur terre et sur mer. Il est donc naturel qu’elle ait attiré l’attention de l’Angleterre et la nôtre. Le canon, pour le moment, se tait partout, mais bientôt sa forte voix s’élèvera de nouveau dans les Dardanelles et sans doute aussi sur la côte d’Asie. L’écho s’en répandra fort au loin.

Nous n’avons pas, en effet, besoin de dire quel nombre immense de questions seront évoquées par les événemens d’Orient. Il est