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spécialement dans les forts que l’on met aujourd’hui les canons ; on les dissimule dans des endroits où il est difficile de les repérer : ils se battent un peu sous terre, tout comme nos soldats. Aller les y chercher est une œuvre que des navires de guerre ne sauraient remplir à eux tout seuls. L’Angleterre et la France ne l’en ont pas moins entamée hardiment et somme toute, elles ont réussi dans la première partie de leur tâche. Les forts qui défendent l’entrée des détroits ont été rapidement détruits et l’escadre des Alliés s’est avancée jusqu’au point où se dressent les forts de Kilid-Bahr et de Chanak : c’est celui où le détroit est le plus resserré et présente un premier coude qu’il suffit de voir sur la carte pour comprendre combien la traversée en est difficile. On l’a tentée pourtant et dans ce coup d’audace nous avons perdu un bateau, le Bouvet, tandis que les Anglais en perdaient deux. L’opinion publique ne s’y attendait pas et, dans l’ignorance où elle était des difficultés de l’entreprise, elle s’est un peu émue de l’accident. Il n’avait rien toutefois qui fût de nature à justifier cette émotion, qui d’ailleurs n’a pas tardé à se dissiper. Les gouvernemens anglais et français ne l’ont nullement partagée : ils savaient d’avance que la perte de quelques bateaux était inévitable dans une opération de ce genre et que, si elle pouvait retarder le succès, elle ne pouvait pas le compromettre. Personne ne doute dans le monde que les Alliés forceront le détroit et arriveront victorieux devant Constantinople. L’effort sera peut-être coûteux, mais il réussira, et plus il aura été difficile, plus il sera glorieux. Les navires perdus ont été immédiatement remplacés, ce qui est un témoignage de l’inébranlable résolution de la France et de l’Angleterre. Il est possible que les opérations soient ralenties pendant quelques jours, c’est-à-dire jusqu’au moment où nos troupes de débarquement seront arrivées sur les lieux et pourront y être utilisées : elles se poursuivront alors avec une énergie et une rapidité nouvelles, de manière à produire tous leurs effets.

En même temps qu’il tonnait dans les Dardanelles, le canon se faisait entendre aussi à Smyrne et on s’est demandé le motif de ce qui semblait être une division, une dispersion de notre effort. En réalité, si l’opération de Smyrne n’avait pas tout à fait le même objet que celle des Dardanelles, un lien étroit l’y rattachait. Nous avons déjà parlé de la tentative des Germano-Turcs sur le canal de Suez : annoncée très bruyamment, elle a été exécutée avec un étrange mélange de témérité, d’imprudence et de désordre. L’armée assaillante était composée de Turcs, d’Arabes et de Bédouins qui, non seulement