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il s’endort avant la fin du dîner, les mains sur le ventre. Il est heureux ! Il ne découpe plus le bois ni le métal : et toute la famille, autour de lui, se félicite de ce changement, de la quiétude que répand la tardive sérénité de Truffaut. Cependant, un matin, Mme Truffaut, son fils et sa fille déjeunaient : voici Truffaut, les bras chargés de l’attirail du découpage. On frémit : et est-ce qu’il va recommencer l’ancien manège ? Non. Il sourit avec bonhomie et rassure sa femme, ses enfans : il ne va découper que des étiquettes en métal pour les arbres du jardin ; puis, ce sera tout, car il le promet gentiment.

Toute l’histoire de M. Truffaut n’est que cela et, si l’on en tirait une philosophie, je crois qu’on dépasserait l’intention de l’auteur. M. Glesener nous a conté cette histoire sans nous inviter à nulle conclusion dogmatique. Un bonhomme a vécu ainsi. Fallait-il qu’on le sût ? Oui : nous ne sommes que trop portés à regarder seulement, dans la nature, les sites extraordinaires et, dans l’humanité, les destinées prodigieuses. C’est la raison pour laquelle, en général, nous n’avons pas une idée juste de la nature et de l’humanité. Un bonhomme a vécu ainsi : et c’est un fait ; évitons l’erreur de mépriser les plus simples faits. Et puis, le plus simple bonhomme qui arrive au terme de ses jours, et qui probablement n’a guère médité, a pourtant résolu maints problèmes, que posent les métaphysiciens et qu’ils ne résolvent pas. S’il aboutit à quelque bonheur, la solution que son exemple recommande n’est-elle pas digne ; d’estime ? et, s’il n’a nui, en outre, à personne, qui n’aimerait à l’imiter ? Truffaut, d’ailleurs, s’est tracassé longtemps. La niaiserie de son tracas ne doit pas faire illusion : et un tracas en vaut un autre, dans l’immense inutilité des aventures individuelles. Dus à l’éternel oubli, nous réussissons, en cultivant notre manie à l’âge de l’activité, un peu plus tard notre jardin, à oublier cette misère de notre condition mortelle, ici-bas.

Cette conclusion n’est pas gaie. D’ailleurs, cette conclusion, M. Glesener ne l’a point formulée. Elle se dégage du roman toute seule comme, de la réalité, naît une opinion d’allégresse ou de mélancolie. M. Glesener se content » ; de peindre [ce qu’il a sous les yeux. Mais, dissimulé même, le sentiment du peintre, on l’aperçoit. Ceci le révèle : la manière du peintre change selon que, toujours attentif, il copie l’humanité ou la nature. L’humanité, il la peint de couleurs vives et crues, sans douceur ; ni les détails ne sont arrangés avec complaisance, ni les nuances ne sont ménagées avec gentillesse. La nature, il la peint de couleurs ravissantes, avec un souci de grâce et de poésie. Ce contraste, qui trahit sa pensée, il le marque très