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la pure théorie. L’auteur ne laisse donc la parole aux sentimens d’humanité que lorsqu’il s’agit de violences qui ne peuvent contribuer en rien au succès des opérations entreprises, d’actes complètement inutiles par conséquent. Ces actes seuls sont d’après lui à considérer comme illicites. — La formule est singulièrement élastique et l’on aperçoit vite qu’avec un semblable principe les pires excès deviennent excusables, si l’on peut prétendre qu’ils n’ont été commis que pour faire plus cruellement sentir les maux de la guerre et la nécessité d’une prompte soumission.

Emettre une semblable théorie, c’est proprement nier l’existence de tout droit en temps de guerre. Le droit commun nous enseigne que l’on doit séparer les pays neutres des pays belligérans et que les premiers sont fondés à demeurer exempts des maux de la guerre, à la seule condition qu’ils ne prêtent pas d’assistance aux belligérans. Le droit allemand déclarera légitime d’étendre les hostilités aux territoires neutres si, par ce moyen, on espère atteindre plus vite son adversaire et le vaincre plus sûrement. Qu’importe que la Belgique ait été déclarée perpétuellement neutre et que l’Allemagne ait contresigné elle-même cette solennelle déclaration, si le territoire belge offre aux armées allemandes la voie la plus commode de leur pénétration en France ? La Belgique devait ouvrir ses chemins de fer et ses routes aux armées impériales, simplement parce que ces armées avaient besoin de s’en servir pour atteindre leur but. Elle ne l’a pas fait, son territoire a été envahi, sa population livrée à toutes les horreurs d’une guerre sans merci, et tout cela a été fait en vertu du droit de la guerre allemand.

Grâce aux efforts des juristes et des hommes d’Etat, le monde s’était peu à peu accoutumé à cette idée que, dans les pays belligérans, la population doit être divisée en deux groupes de condition différente : les combattans et les non-combattans. Aux combattans revient l’honneur de défendre leur patrie les armes à la main, mais aussi eux seuls doivent souffrir des violences presque illimitées que comporte l’état de guerre. Les enfans, les femmes, les vieillards, tous les non-combattans n’ont qu’un devoir, celui de ne prendre personnellement aucune part aux actes d’hostilité. À cette condition, leur vie, leur honneur, leurs biens eux-mêmes (ces derniers dans la mesure du possible)