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son médaillon : « Nous autres Allemands, nous craignons Dieu, mais rien autre au monde ! »

Un mois après, son empereur et maître, Guillaume Ier, mourait. Le Kronprinz lui succédait sous le nom de Frédéric III. Son règne, abrégé par une maladie implacable, dura à peine trois mois. Bismarck resta plus que jamais indéracinable et autoritaire pendant cette période, en s’appuyant sur le prince Guillaume, qui faisait une opposition ouverte à la politique libérale de son père. Bismarck crut qu’en flattant un jeune ambitieux, il se maintiendrait aux affaires dans toute la splendeur de sa puissance. Il vit bientôt que Guillaume II voulait être lui-même son premier ministre, et il comprit que sa domination était menacée. Les rescrits impériaux, relatifs à une entente internationale sur les vœux et les besoins des travailleurs et sur la législation d’assurance, furent la pierre d’achoppement. Ils parurent au Reichsanzeiger sans la signature du chancelier. Le 15 mars 1890, l’Empereur vint lui-même à la Wilhelmstrasse interdire à Bismarck le droit de s’entendre avec les chefs des groupes parlementaires sans sa permission. Une scène violente s’ensuivit, et peu s’en fallut que le chancelier ne jetât son encrier à la face de Guillaume II. Le 18 mars, il était forcé de démissionner. Il le fit avec rage, avec fureur et, au message impérial qui le créait duc de Lauenbourg, il répondit qu’il restait « le prince de Bismarck » et n’avait pas besoin de terminer sa carrière en courant après une gratification, « comme on en donne au jour de l’an aux facteurs qui ont bien fait leur service ! »

Il s’en alla, à la grande satisfaction de son jeune maître et à la joie ouverte de toute la Cour, suivi seulement de quelques fidèles à Friedrichsruhe. Là, pendant huit ans, il maudit la destinée qui lui avait retiré le pouvoir ; il maudit l’Empereur, le comte de Waldersee, le général de Verdy du Vernois, le grand-duc de Bade, les ministres qui l’avaient lâchement abandonné et son successeur, le général de Caprivi. Il écrivit ses Pensées et Souvenirs avec un dédain accentué de la politique de sentiment et un mépris hautain de la justice. Il rédigea un volume, encore inconnu aujourd’hui, où il flétrit les courtisans, les jaloux, les envieux, les intrigans qui, avaient préparé ou salué sa chute. Il n’y ménagea pas l’Empereur lui-même et il le fit avec tant d’animosité que Maximilien Harden, qui a eu connaissance de