Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/672

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une partie plus ou moins étendue de la frontière du Rhin. nous ne pouvons céder ni l’Alsace, ni ce qui est au-dessous de cette province. Mais nous avons loyalement fait tous nos efforts pour être, quant au reste, agréables à la France, pour la contenter comme nous le pouvions.

« Non seulement nous n’avons, quant à nous, aucun motif d’attaquer la France, mais assurément nous n’en avons pas plus l’intention. Cette pensée de faire la guerre, parce que peut-être elle serait plus tard inévitable et que plus tard elle pourrait être faite dans des conditions plus défavorables, — cette pensée a toujours été loin de moi, et je l’ai toujours combattue. » Mais il fallait porter une attention toute particulière sur ce qui se préparait au-delà des Vosges. La pensée de réparer les défaites de 1870 y persistait toujours et l’entretien « de ce feu sacré » soigneusement attisé par des hommes d’une popularité indéniable, semblait chose dangereuse au plus haut degré.

« Je suis donc de cette opinion, affirmait Bismarck, que le procès historique, qui depuis trois siècles est pendant entre nous et la France, n’est point fini, et que nous devons nous attendre à le voir continuer du côté français. Nous sommes actuellement en possession de l’objet en litige, si je peux qualifier ainsi l’Alsace ; nous n’avons donc aucun motif de combattre pour cet objet-là. Mais que la France ne rêve pas de le reconquérir, nul ne peut le prétendre, nul de ceux qui s’occupent quelque peu de la presse française.

« Y a-t-il eu déjà quelque ministère français qui ait pu oser dire franchement et sans réserve : — « Nous renonçons à recouvrer l’Alsace-Lorraine ; nous ne ferons pas la guerre dans ce but ; nous acceptons la situation créée par la paix de Francfort, absolument comme nous avons accepté celle de la paix de Paris en 1815, et nous n’avons point l’intention de faire la guerre pour l’Alsace ? » — Y a-t-il en France un ministère qui ait le courage de parler ainsi ? Eh ! pourquoi n’y en a-t-il pas ? — les Français autrement ne manquent pourtant pas de courage ! — Il n’y en a pas, parce que l’opinion publique en France s’y oppose, parce qu’elle ressemble en quelque sorte à une machine remplie de vapeur jusqu’à l’explosion, au point qu’une étincelle, un mouvement maladroit peut faire sauter la soupape et, autrement dit, faire éclater la guerre. Le feu est attisé et alimenté si soigneusement que l’on n’est nullement fondé à