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Il veut être marteau et non pas enclume. Manteuffel lui offre, pour s’en débarrasser, le portefeuille des Finances. Bismarck tient à rester à la Diète où il achève de connaître les hommes, et n’accepte de temps à autre que des missions extérieures pour parfaire sa science diplomatique. Il commence à sonder Napoléon III et il se rend compte que chez celui-ci le cœur est plus-élevé que l’intelligence.

Lors de la maladie de Frédéric-Guillaume IV, le prince royal, qui allait devenir le roi Guillaume Ier, l’envoie à l’ambassade de Saint-Pétersbourg. Bismarck s’y installe en observateur vigilant et découvre que l’empereur Nicolas a des préférences marquées pour l’Autriche et que la Cour est hostile aux Prussiens. Il s’aperçoit aussi que cet empereur n’a pas autant d’autorité qu’on le croyait sur ses sujets, et cela par le fait suivant. Il fut informé un jour que Nicolas avait demandé deux sous-officiers de la garde prussienne pour lui faire sur le dos des massages prescrits par son médecin. Et comme Bismarck s’en étonnait, le Tsar lui dit : « Je viens toujours à bout de mes Russes quand je les regarde en face, mais je ne voudrais pas leur permettre de s’approcher de mon dos qui n’a pas d’yeux pour les voir/… » L’ambassadeur prussien fit observer que, debout ou couché, son Roi confierait volontiers sa sécurité personnelle au premier venu de ses sujets.

Il montra d’ailleurs bientôt qu’il était homme à renforcer encore l’autorité royale en acceptant le pouvoir et en luttant énergiquement contre les exigences parlementaires. Avec lui, la royauté devait l’emporter sur le Landtag. Il croit que chaque Prussien, loyal comme lui, est « prêt à combattre par le fer et par le feu son voisin allemand et à le tuer, même s’il en reçoit l’ordre de sa dynastie. » On retrouve dans cette affirmation les paroles de Guillaume II aux recrues allemandes. Elles vont même plus loin, puisque le souverain envisageait sans frémir la possibilité de faire fusiller par ces jeunes gens leurs pères et leurs mères eux-mêmes, si des émeutes ou des révoltes les comprenaient au nombre des ennemis de la monarchie.

Le 23 septembre 1862, Bismarck, nommé ministre d’État et président intérimaire du Conseil, applique aussitôt délibérément une politique qu’il a fait connaître en ces termes à la Commission du Budget : « Ce n’est point par des discours parlementaires et par le vote des majorités que se résoudront les