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souffrances m’en laissent la liberté, je fais le bien que je crois juste et nécessaire, et je ne me permets de mal que celui qui est utile au gouvernement. — Les femmes ont toujours été sans pouvoir sur moi… Je ne puis souffrir un être foible qui domine. — J’aimois la conversation du vieux prince d’Anhalt-Dessau, son esprit rude et presque féroce me plaisoit, c’étoit un vrai Vandale : on retrouvoit chez lui le caractère que leur donne Tacite. — Aujourd’hui, craindre le Pape, l’Église et le clergé, c’est avoir peur des mouches à la fin de l’automne… Les rois bigots… sont les vrais fléaux de Dieu.- — Si l’acquisition de la Pologne, qui ne coûta point de sang, n’étoit pas fondée sur une justice rigoureuse, elle l’étoit sur la raison, qui demande que des peuples voisins ne soient pas entravés par des limites indécises et enclavées les unes dans les autres : la morale a des ressources pour tous les hommes, elle ne sau-roit en manquer pour les rois, et les convenances territoriales peuvent entrer dans ses principes, comme contribuant au plus grand bonheur des peuples. » Là encore, il n’est rien que Machiavel n’eût dit, ni qu’il eût dit autrement qu’on le fait dire à l’Anti-Machiavel, dans le testament où il est censé résumer et enfermer toute son expérience.


De la superposition de ces ébauches un peu confuses, aux hachures entre-croisées, quelles sont les lignes qui se détachent, quelle est l’image qui surgit ? Au fait, nous n’avons pas besoin du petit Frédéric de l’anecdote, puisque nous avons le grand Frédéric de l’histoire. Celui-ci, nul ne l’a mieux saisi que Macaulay, mieux fixé sur la toile pour l’immortalité de la gloire et du blâme :

«… Ce fut du roi de Prusse que la jeune reine de Hongrie reçut les plus fortes assurances d’amitié et d’appui. Cependant le roi de Prusse, l’Anti-Machiavel, était déjà pleinement résolu à commettre le grand crime de violer la foi jurée, de dépouiller l’allié qu’il était tenu de défendre, et de plonger toute l’Europe dans une guerre longue, sanglante et désolante ; et tout cela, uniquement pour étendre ses domaines et voir son nom dans les gazettes. Il se décida à rassembler promptement et secrètement une grande armée, à envahir la Silésie avant que