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remontrances, pas même de sa mère, de sa femme, de sa sœur, de ses frères, moins encore de ses ministres, ce qui se prouve certainement par un esprit supérieur. (Faute probable d’impression, pour : ce qui ne prouve certainement pas un esprit supérieur.) Ce qui le prouve moins encore, c’est d’être mauvais plaisant, de dire des duretés au lieu d’épigrammes, et de s’adresser toujours à des gens qui, par leur état, ne doivent pas lui répondre et qui, par leur génie, ne peuvent pas lui faire apercevoir les raisons pour lesquelles ils se taisent. Ce qui le prouve enfin, c’est qu’il n’a jamais rien compris aux finances et au commerce et qu’il n’a pas sçu tirer parti de l’argent qu’il adore.

« Il n’y a pas le même bien à dire de son caractère que de son esprit. Traitant les hommes en esclaves, ses sujets gémissent sous des chaînes terribles. Il ne pardonne aucune faute contre l’exactitude militaire, et si son intérêt est Iézé, il ne châtie pas, il se venge. Ces défauts de l’homme sont compensés par les qualités du Roi. »

D’autre part (Anecdotes précieuses sur Sa Majesté) : « Ce qui est plus étonnant que toutes ces anecdotes particulières, c’est d’examiner les projets incroyables qui ont fermenté dans cette tête royale. Il n’est jamais entré dans une imagination humaine la vingtième partie des combinaisons étranges dont ce héros auroit régalé l’Europe si la fortune l’eût seulement flatté une minute du succès.

«… Aussi Voltaire disait-il : Si, après cela, dans ce ridicule siècle, on pouvoit démontrer que, pour avoir voulu la paix et le vrai bien de sa nation, un jeune et bon roi a risqué d’être lapidé ; si un autre prince, nommé le bien-aimé, a tout gâté chez lui ; si… si… si… ; si enfin c’est un roi philosophe qui a mis le feu aux quatre coins de l’Europe, et donné le ton à des principes et à une guerre plus immorale que celles des Attilas et des Gengiskhan, que restera-t-il donc à désirer après cela, en fait de maîtres, sinon de demander au ciel des Nérons et des Caligulas, pour rendre les mortels heureux ? »

« Dieu l’avoit mis dans une position unique. Lui seul, en montant sur le trône, se trouvoit de tous les princes de la Chrétienté le mieux en passe de donner le ton à l’Europe. Il avoit de l’argent, de belles troupes, de l’esprit, le goût du travail, peu de préjugés, et le courage d’oser se singulariser en tout. Il n’eût dépendu que de lui d’être l’arbitre du monde chrétien. Il a mieux