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pour un prince et en particulier pour un grand prince, ces eux ne sont pas sans péril ; car rien qui vient de lui n’est indifférent.

Lorsque paraissent ses poésies, — les fameuses « Œuvres de poésie du roi mon maître, » dont Voltaire s’est tant amusé pour venger sa mésaventure de Francfort, — le Roi est furieux et inquiet au-delà de toute expression. « Jamais je ne vis tant d’inquiétudes, » écrit le placide Catt. Frédéric écume et se lamente : tourment de politique plus encore que de rimeur : « Moi qui n’ai fait mes poésies que pour me délasser, que pour m’égayer seul aux dépens de ceux qui me faisaient du mal, et qu’il faut (sic) qu’elles deviennent publiques dans le moment le plus critique de mon existence ! Si j’avais pu soupçonner cette publicité, j’aurais brûlé mon livre et tous mes cahiers : ce que dit un Roi en bien ou en mal ne s’efface jamais. » Comme je n’avais point encore lu ce livre, explique Catt, je dis au Roi : « Mais, Sire, quel tort peut Lui faire (Lui, troisième personne de révérence, sous-entendu : à Votre Majesté) la publication de cet ouvrage ? — Quel tort ? et n’avez-vous pas vu, mon cher, mes tirades sur l’Angleterre, la Russie et autres : voilà ce qu’il y a de diabolique pour le moment présent, et voilà ce qu’il faut que je change au plus vite. »

Décidément, il est dangereux pour un Roi de se faire homme de lettres ; au moins doit-il bien prendre garde aux sujets sur lesquels il s’exerce. Quelques stances paraphrasées de l’Ecclésiaste, passe, et passe encore avec un dessein politique : « Sainte capucinade, dit Frédéric lui-même, que j’ai faite uniquement pour calmer les cris furieux des zélateurs insensés qui soulèvent tout le monde et le soulèvent aussi contre moi. » La Relation de Phihihu, émissaire de l’empereur de Chine en Europe, n’est qu’une plaisanterie. Sans doute, plusieurs la trouveront mauvaise, mais il n’importe : « Les dévots vont diablement criailler, j’en suis sûr, il n’en faut pas tant pour qu’ils clabaudent, oh ! pour cela, je m’en fiche. Le Saint-Père, vous le verrez, me donnera l’absolution, malgré de légers coups de patte que je lui donne, si je parviens à bien rosser ces chers amis. »

Pour ce grand porte-sceptre et ce grand porte-épée, la plume aussi est une arme : il croise épitre contre épitre : « Vous voyez, mon cher, que je ne reste pas en arrière, avec mes amis