Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/628

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parvenus, et sa manière de vivre avec ses heiduques. — Noé est leur grand-père et le mien, dit-il, c’est la confiance et non la familiarité qui a des inconvéniens. »

C’est là assurément de l’esprit machiavélique. On dirait ces réponses extraites du recueil de reparties par où se termine la Vie de Castruccio Castracani. Tel le plus raffiné des condottieri, il use de la langue comme d’un poignard. Il aime cette escrime, qui, même à arme mouchetée, marque la touche, fait sentir la piqûre. Parfois il assassine sous le masque. « Il parut… une lettre en public qui ne se débitoit qu’en cachette et qui faisoit des plaisanteries sur l’accouchement imprévu d’une Grande-Duchesse. Quand tout le monde eut pris copie de cette lettre, le Roi la fit défendre. On a su depuis qu’il s’étoit jugé lui-même. »

Sa raillerie est dure et n’épargne personne. Rien ne lui est sacré. Mais il est cérémonieux et enveloppe sa grille d’un gant de velours. « Un roi poli, timide même, grand faiseur de révérences, ne se fait aucun scrupule d’immoler à sa table des victimes. Il a demandé à des femmes des nouvelles de leurs bâtards, a parlé de leurs victoires à des princes qui n’avaient jamais vu tirer un coup de fusil. Il y a une espère de lâcheté à accabler ceux qui ne peuvent ni ne doivent répondre. »


Ce dernier trait est l’un des plus accusés chez le roi de Prusse, s’il n’est pas essentiellement d’un machiavéliste. Macaulay ne s’est point fait faute de le marquer, et il l’a mis en haut relief, sur le fond d’impiété et sous la couleur de libéralité ou de libéralisme qui sont deux des caractéristiques principales de la figure de Frédéric.

A ses soupers, « la conversation roulait habituellement sur l’absurdité de toutes les religions connues, et l’audace avec laquelle ou traitait… les noms et les doctrines vénérés par toute la chrétienté, surprenait même des personnes accoutumées à la société des libres penseurs français et anglais. Cependant on ne trouvait, dans cette brillante compagnie, ni vraie liberté, ni vraie affection. Il possédait, à la vérité, beaucoup de qualités qui pouvaient séduire au premier abord, sa conversation était animée ; ses manières étaient même caressantes, quand il