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grandir. Réfractaires à la pénétration des races voisines, dont ils se refusent à apprendre la langue, ce sont eux, au contraire, qui les entament et les assimilent par leur natalité élevée, par leur vivacité d’esprit, leur souplesse, leur charme. C’est encore le génie latin qui triomphe avec eux. Tout en subissant dans la liturgie et même la langue des infiltrations slaves, ils ont préservé à l’égard du slavisme leur originalité ethnique ; ils absorbent les Serbes, qui se laissent faire, désarmés par leur bonne grâce ; ils éliminent lentement les Allemands et les Magyars. Opiniâtreté et douceur, voilà de quoi avoir raison de bien des choses. C’est aux hommes aussi presque autant qu’aux femmes qu’il faut appliquer le proverbe : « Dès qu’une Valaque est entrée, toute la nation devient valaque. »

Ils ont, nous le savons, pour obtenir leur libération, d’autres vertus encore. Les unes et les autres ne leur suffiront pas pour cela. Heureusement ils trouvent dans la Roumanie danubienne des frères aînés qui comprennent les devoirs que leur impose envers des cadets déshérités le rang qu’ils ont acquis dans la civilisation occidentale et latine. Ces devoirs ne peuvent assurément leur faire oublier ceux qu’ils ont envers eux-mêmes, mais ils sentent plus encore que les uns et les autres s’accordent pour les décider à courir les risques inséparables de la réalisation d’un idéal en faveur duquel semblent conspirer des circonstances comme il s’en rencontre rarement dans la destinée d’un peuple. Mais la question de savoir s’il leur convient d’en profiter ne regarde que les Roumains. Quant à nous, nous n’avons voulu ici faire qu’une chose, rappeler, non pas certes à ceux qui le savent si bien, mais au public français, qui le sait peut-être moins, et qui, à cause de ses sympathies pour leur cause, ne sera peut-être pas fâché de le savoir mieux, que les origines du roumanisme remontent plus haut qu’on ne le croit généralement, qu’en conservant d’une façon jalouse leurs traditions, en luttant obscurément sous la conduite de leurs woïvodes et de leurs magnats pour l’indépendance de la Transylvanie contre la maison d’Autriche, les paysans valaques, les serfs kouroucz écrivaient les premières pages de son histoire.


G. FAGNIEZ.