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personne n’était mieux fait que Stephen Tisza pour les y pousser et pour l’incarner. « Mon peuple périra par l’orgueil, » disait dès 1849 Szecbenyi, qui devint fou de chagrin en voyant ses compatriotes s’engager dans une voie qu’il croyait fatale à son pays.

Du jour où le gouvernement de Buda-Pesth eut opté pour la magyarisation rapide, c’est-à-dire brutale et sournoise, il ne négligea rien pour la faire triompher. La première chose, c’était de faire en sorte que la tribune et la presse ne se fissent pas l’écho des récriminations des victimes. Le magyarisme y est arrivé par la loi électorale et par les expédiens qui en ont aggravé l’application. L’inégalité, qui est à la base de cette loi, vise à exclure les Roumains du scrutin ; tandis qu’elle y admet la noblesse magyare sans condition de cens, celui qu’elle exige des autres électeurs est trois ou quatre fois plus élevé dans les communes rurales que dans les villes. C’est que les Roumains sont restés surtout un peuple de paysans. Le scrutin n’est donc accessible qu’à un petit nombre de grands propriétaires agricoles. Grâce à l’arbitraire avec lequel sont tracées les circonscriptions, la proportion entre le nombre des députés et le chiffre de la population est une proportion à rebours. Dans quatre comtés magyars, il y a un député par 460 kilomètres carrés et par 34 000 habitans. Vingt-deux cercles, comptant 5 161 électeurs pour la plupart non roumains, élisent douze députés ; 5 275 électeurs du cercle exclusivement roumain de Karansebes dans le Banat en élisent un. Les lieux de vote désignés par l’administration sont éloignés des centres de population roumaine, ce qui rend le déplacement difficile ou impossible pour les électeurs. Il arrive même qu’on empêche les électeurs roumains de voter en leur interdisant l’entrée de la salle de vote. Ces procédés ont obtenu l’effet désiré, ils ont fermé le parlement aux mandataires des victimes. Celles-ci s’abstiennent et ne sont représentées que par quelques députés. En 1867, un seul réussit à passer et il ne voulut ni occuper son siège ni résigner son mandat,

Si pour la population opprimée la tribune parlementaire est muette, la presse ne supplée pas à son silence. Elle est bien placée sous la juridiction du jury, mais ces jurys sont hongrois aussi bien que les tribunaux. Quand un jury est suspect d’indépendance, les affaires de presse sont transférées dans un autre.