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de forêts. En ces quelques mots, nous voyons apparaître la physionomie du pays. Ce qui suit nous montre la vie des habitans. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la société australienne avait été soumise à l’influence des grands propriétaires ou squatters. En 1851, la découverte de gisemens d’or en Victoria et en Nouvelle-Galles du Sud attira une foule d’immigrans, très différens des cultivateurs qui s’étaient antérieurement établis dans le pays. La vie y est large dans toutes les classes ; nulle part la démocratie n’est plus triomphante ; nulle part les innovations sociales n’ont été poussées plus loin ; nulle part l’extension des pouvoirs de l’État n’a été mise en pratique à un pareil degré.

L’une des raisons de cette évolution, si différente de celle qu’ont suivie les États-Unis de l’Amérique du Nord, originairement colonisés, eux aussi, par la Grande-Bretagne, c’est la rapidité de l’immigration qui a submergé l’Australie. En 1891, la population, qui approchait de 4 millions d’âmes, était décuple de celle de 1850. Voilà une observation très simple : peut-être cependant Pierre Leroy-Beaulieu a-t-il été l’un des premiers à la noter et à expliquer ainsi pourquoi deux États, fondés par des hommes de même race, se sont développés de façon si différente. Les nouvelles sociétés constituées dans les colonies anglaises des antipodes représentent, scion lui, au plus haut degré les tendances, bonnes ou mauvaises, de la civilisation contemporaine. L’Australie a distancé toutes ses aînées.

La faveur que les idées socialistes y ont rencontrée surprend l’observateur qui constate que l’Amérique a évolué, jusqu’à ces derniers temps, dans un sens opposé, celui de l’individualisme. Et cependant l’Australie semble plus anglaise que les États-Unis : la part des élémens étrangers aux Iles Britanniques dans sa colonisation est négligeable ; mais elle a manqué de cette base solide qu’avaient constituée aux États-Unis les descendans des Puritains et l’aristocratie des planteurs du Sud. Les mines d’or ont amené une irruption d’élémens médiocres. Les ouvriers, qui d’abord recevaient des salaires énormes, ont vu la vie devenir pour eux plus difficile, à mesure que les mines s’épuisaient. L’État, enrichi par des ventes de terres domaniales, leur est venu en aide en soutenant par des tarifs excessifs les industries naissantes, dont l’existence ne se traînait que grâce à cette protection douanière, en légiférant sur la vente des terres, en