Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/481

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

effort est en faveur et, plus grand est le conflit qui met le monde à feu et à sang, plus l’espoir des profits faciles s’empare de certaines âmes. Non pas de celle de M. Venizelos. Il se rappelle qu’autrefois Cavour a ouvert la grande carrière politique à son pays en envoyant une poignée d’hommes participer à l’expédition de Crimée. Cela lui a permis ensuite de figurer au Congrès de Paris et d’y parler de l’Italie ; on l’a écouté parce qu’il avait acquis le droit d’élever la voix. Ce souvenir a probablement agi sur M. Venizelos, mais il a laissé le Roi insensible. Le Roi a écouté d’autres conseils. Les militaires sont aujourd’hui plus prudens que les diplomates, et le colonel Metaxas, chef de l’état-major général, a déclaré avec force qu’on ne pouvait pas détacher un seul homme de l’ensemble de l’armée, étant donné l’attitude équivoque de la Bulgarie et le danger éventuel qu’elle recelait. M. Théotokis, un de ces hommes d’autrefois dont nous avons rappelé le rôle, a insisté sur ce danger qui sert de prétexte à toutes les abstentions dans les Balkans. D’autres sont convaincus, et telle est sans doute l’opinion de M. Venizelos, que si la Grèce s’était prononcée dans le sens des Alliés, la Bulgarie n’aurait pas pu se dispenser de sortir de son impressionnante immobilité, pour marcher sur Andrinople. La Roumanie alors aurait-elle pu rester seule dans l’abstention ? Rien n’est plus improbable. Tous les Balkans se seraient engagés dans le sens de leurs destinées. Mais ce sont là des vues qui nous sont personnelles ; il est à croire que M. Venizelos n’a parlé que de l’intérêt de la Grèce, et cet intérêt, dans le cas actuel, peut s’exprimer en deux mots : en agissant, la Grèce n’avait aucun risque sérieux à courir et beaucoup à gagner. On n’a pas cru M. Venizelos. L’Allemagne, même aujourd’hui, continue de faire peur à ceux qui ont pris l’habitude de trembler devant elle. Nous ne saurions dire quelle est, de toutes ces considérations, celle qui a agi le plus fortement sur l’esprit du Roi. Bref, il a notifié à M. Venizelos que le désaccord était entre eux irréductible, et il a pris la responsabilité d’ouvrir, dans un moment comme celui où nous sommes, une crise intérieure et extérieure dont on aperçoit la gravité.

Les conséquences, nous laissons à M. Venizelos lui-même le soin de les prévoir : il serait téméraire de nous en charger nous-même. Interrogé par des députés de ses amis, il n’a nullement atténué l’expression de ses sentimens. « Le Roi, a-t-il dit, m’a demandé quel homme politique pouvait prendre le pouvoir dans les circonstances actuelles : j’ai désigné M. Zaïmis. Un Cabinet Zaïmis suivra une politique de neutralité. J’espère que cette politique ne mettra pas