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ce qu’elles ont fait. Et il était temps qu’elles le fissent, car on commençait à dire un peu partout que, dans cette guerre, toutes les initiatives énergiques étaient du côté de l’Allemagne et de ses alliés. A leur tour la France, l’Angleterre et la Russie portent la guerre chez l’ennemi.

Aussitôt la diplomatie allemande s’est appliquée à inspirer des inquiétudes aux Puissances neutres qui gravitent autour de Constantinople. Que deviendrait la grande ville, si l’entreprise des Alliés réussissait ? Ne tomberait-elle pas fatalement entre les mains de la Russie, et alors, que d’espérances seraient trompées ! que d’ambitions seraient déçues ! que d’intérêts seraient sacrifiés ! Le jour où les Turcs en seront chassés, Constantinople risque en effet de devenir une pomme de discorde en Orient, et de cette discorde tout l’Occident sentira inévitablement le contre-coup. C’est même à cause de cela qu’on a été si longtemps d’accord pour laisser Constantinople aux Turcs, et cette situation aurait pu se prolonger pendant de longues années encore, si les Turcs eux-mêmes ne l’avaient pas compromise. A qui donc reviendra Constantinople ? On a dit que M. Sazonoff, dans le discours qu’il a prononcé à l’ouverture de la Douma, l’avait revendiquée pour la Russie. Cette assertion devait faire naître ailleurs qu’à Pétrograd des susceptibilités et des inquiétudes, et c’est bien pour ce motif qu’elle a été perfidement énoncée et répandue. Le gouvernement anglais a été interrogé à ce sujet, et sir Edward Grey a répondu, à la Chambre des Communes, qu’il n’avait rien pu trouver dans les comptes rendus du discours de M. Sazonoff d’où l’on pût inférer que la Russie avait l’intention d’occuper la Turquie d’une manière permanente. « La version que je possède, a-t-il ajouté, porte que les événemens qui se déroulent sur la frontière russo-turque achemineront la Russie vers la réalisation d’importans problèmes économiques qui sont liés à son accès sur une mer ouverte. Ce sont là des aspirations avec lesquelles nous sommes en pleine sympathie. » Le temps est loin, en effet, où l’Angleterre posait en axiome de sa politique que la Russie ne devait pas avoir d’accès dans la Méditerranée. Les intérêts ne sont pas.les mêmes, les politiques non plus. Il n’en est pas moins vrai que la question de Constantinople est une de celles qui troublent et enfièvrent le plus les imaginations, et on comprend que la diplomatie allemande s’en empare pour la faire servir à ses vues.

Nous ne sommes pas prophète ; nous n’avons aucune prétention à dire ce qu’il adviendra de Constantinople après la guerre ; mais, pour