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Fellini reçut l’ordre de se rendre au palais possédé par le Khédive à Alexandrie. Sur son chemin vers ce palais, le Turc rencontra un ami à qui il demanda de m’instruire des faits de son aventure, au cas où l’on ne le verrait pas revenir dans un délai de quelques heures. Ce délai étant expiré sans qu’il fût de retour, son ami m’envoya un télégramme au Caire, où je demeurais à ce moment ; aussitôt je dépêchai à Alexandrie un officier anglais des plus intelligens, avec mission de voir le Khédive et de s’informer du sort de Féhmi. Abbas II s’empressa d’accueillir mon délégué : mais il affirma de la manière la plus positive qu’il ne savait rien de ce qui concernait l’ex-espion turc, et non moins positivement déclara que jamais ce personnage n’avait été retenu au palais.

Ces assertions solennelles me furent ensuite répétées à moi-même par le Khédive, qui crut devoir y joindre, cette fois, les protestations les plus indignées contre les soupçons dégradans que l’on avait osé émettre sur sa conduite dans la circonstance. Or, j’ai appris dans la suite que Léon Féhmi, en arrivant au palais, n’avait pas vu le Khédive lui-même, mais avait été entraîné à bord du yacht de Son Altesse, qui s’apprêtait déjà à le ramener vers Constantinople, lorsqu’un messager du Khédive, — à l’issue de l’entretien de celui-ci avec l’officier anglais, — était venu enjoindre qu’il fût débarqué. Et quand le prince Abbas, deux ou trois jours après, m’avait donné sa parole d’honneur que Léon Féhmi ne se trouvait pas emprisonné dans son palais, il m’avait dit la vérité : mais il avait omis d’ajouter que le personnage était détenu par force dans une maison toute proche du palais, et qui en dépendait.

Sous l’effet du bruit causé par l’affaire, le Khédive a décidément renoncé à son projet de renvoyer Léon Féhmi à Constantinople. Il s’est contenté de le faire conduire entre deux gardiens à Port-Saïd, d’où un paquebot l’a transporté à Marseille. Plus tard, l’ex-espion a publié un récit de son aventure, — un récit très suffisamment véridique, du moins pour ceux des faits que j’ai pu contrôler. Personne, naturellement n’a consenti à le croire, et la presse locale, aussi bien égyptienne qu’européenne, s’est montrée particulièrement ardente à proclamer son indignation devant les calomnies dont on essayait, une fois de plus, de salir l’honneur du Khédive. Quant à moi, je n’ai pas cru devoir corriger ce que ces vues de la presse et du public égyptiens avaient d’erroné. La personne de Léon Féhmi, par soi-même, ne méritait pas beaucoup de sympathie, et j’estimais avoir assez fait pour maintenir la dignité des principes anglais en sauvant l’infortuné des griffes du Sultan. De là mon silence en cette occasion.


Mais peut-être ai-je trop insisté sur ces menus épisodes, qui n’occupent, comme je l’ai dit, qu’un court chapitre supplémentaire dans le livre nouveau du noble lord anglais. L’objet principal du livre est bien moins de nous faire connaître le caractère privé de l’ex-Khédive que de reconstituer sous son jour véritable l’histoire des nombreux conflits d’ordre plus expressément politique engagés entre le