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l’ordinaire des princes de sa maison, un « sens très prononcé de l’humour, » et tout ce que l’éducation européenne peut ajouter d’attrait au charme naturel d’une âme profondément « orientale. » Mais d’autant plus ces qualités extérieures, si nous devons en croire lord Cromer, avaient de quoi rendre tout ensemble évidens et fâcheux les défauts, d’ordre plus intime, qu’elles accompagnaient, et dont les plus graves se résumaient en un mélange singulier de dissimulation et de cupidité.


Le principal objet de la vie du Khédive, tel que je l’ai connu, parait bien avoir été de s’enrichir par n’importe quels moyens dont il pût disposer. En fait, nous l’avons vu amasser une fortune énorme, qu’il a d’ailleurs follement gaspillée, et jusqu’au point de se plonger parfois dans une situation financière des plus embarrassées. Constamment ce souverain s’abaissait à convoiter quelque vigne de Naboth, découverte par lui dans le voisinage de ses propres domaines. Et comme, d’autre part, suivant l’exemple de son grand-père Ismaïl pacha, pour lequel il professait beaucoup d’admiration, il restait toujours scrupuleusement soucieux d’observer les formes légales, j’avais souvent une difficulté extrême à l’empêcher de commettre des actes d’une injustice monstrueuse au nom de la loi.


C’est ainsi que lord Cromer a dû déployer une énergie infatigable pour obtenir la mise sous séquestre de l’immense fortune d’un parent du Khédive, Seif-el-Din bey, que sa folie avait fait enfermer dans une maison de santé anglaise. Encore Abbas II a-t-il réussi plus tard, après le départ de lord Cromer, à s’emparer personnellement de la gestion de cette fortune, évaluée à près d’un million de rentes ; et un jouma1 égyptien a révélé, ces jours-ci, que rien ou presque rien ne subsistait du capital du prince Ahmed Seif-el-Din, « soit que l’énorme somme ait été dépensée, ou peut-être dérivée vers d’autres canaux. »

Plus significative encore est l’aventure d’un prince kurde, Osman pacha, qui, après avoir été l’aide de camp favori du sultan Abdul-Hamid, avait encouru la disgrâce de celui-ci en raison de ses sympathies « jeunes turques, » et était venu se réfugier au Caire, où lord Cromer lui avait garanti une entière sécurité, moyennant qu’il s’abstînt de toute intrigue politique. Mais le khédive Abbas s’était engagé vis-à-vis du Sultan à faire en sorte qu’Osman pacha retombât sous la main de la police turque. Simulant une vive amitié pour le prince kurde, il ne cessait point de lui répéter que, grâce à son entremise, le Sultan avait reconnu son erreur et ne demandait qu’à lui restituer la grosse fortune qu’il s’était empressé de lui confisquer. Un jour, même, on avait montré à Osman pacha la prétendue copie d’une correspondance échangée, à son sujet, entre Abdul-Hamid et son