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pourrait-il hésiter à rejeter le joug odieux et pesant de l’Angleterre ? »

Le méfiant ami autrichien de lord Cromer avait vu juste. A peine installé sur son trône, Abbas II s’est entouré précisément de conseillers dont l’ « adulation » n’allait plus cesser de revêtir, depuis lors, la forme d’encouragemens de plus en plus passionnés à « rejeter le joug odieux de l’Angleterre. » Mais encore bien que l’influence d’un tel entourage ait valu au Consul Général anglais une foule d’« embarras, » dont il vient de nous offrir le récit dans un petit livre tout plein de révélations imprévues et curieuses, peu s’en faut que l’ancien diplomate ne se montre prêt à excuser ce qu’il appellerait volontiers l’ « erreur » du jeune prince. « Comment supposer, — écrit-il, — qu’un garçon inexpérimenté d’à peine dix-huit ans, frais émoulu de l’éducation un peu étroite d’un collège autrichien, eût possédé l’intelligence, la patience, et le jugement et l’empire sur soi qui lui auraient été nécessaires pour se conformer aux exigences d’un système tel que celui qu’avait subi l’Egypte pendant les dix dernières années du règne de son père ? » Sans compter qu’à toute heure le groupe « hybride » d’Égyptiens, d’une authenticité plus ou moins douteuse, qu’il aimait à rassembler autour de soi lui représentaient ce « rejet » de l’influence anglaise non seulement comme un devoir sacré, mais aussi comme la chose au monde la moins hasardeuse. « Quoi de plus aisé, pour les Égyptiens, que de gouverner l’Egypte sans aucune assistance étrangère ? »

Si bien que, dès le premier jour, lord Cromer, — à l’en croire, du moins, — se sentait au cœur, pour le jeune Khédive, des trésors d’une indulgence quasi paternelle. « Certes, écrivait-il à lord Rosebery en novembre 1892, le nouveau souverain s’est conduit très sottement en un grand nombre de menues circonstances ; mais il est si jeune et si ignorant de la vie que nous devons nous garder soigneusement de porter sur lui un jugement trop sévère ! » Et aujourd’hui encore le noble lord nous affirme qu’il se garderait de porter sur son ancien « pupille » un « jugement trop sévère, » s’il lui était possible d’attribuer à une véritable inspiration patriotique la longue et funeste série des « sottises » du jeune prince, — ou plutôt d’un prince que son « ignorance » obstinée « de la vie » n’empêche pas d’être, dorénavant, un gros et mûr personnage de quarante ans passés. Mais il a suffi à lord Cromer de pénétrer plus à fond dans la familiarité du khédive Abbas pour découvrir que ses prétendus sentimens « égyptiens » étaient, en réalité, uniquement « khédiviens. »