Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/458

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux siècles, on a joué à Paris et dans les provinces un Festin de Pierre, toujours écouté avec plaisir, et dont certaines tirades étaient dans toutes les mémoires. Et ce Festin de Pierre était bien celui de Molière ; mais il était aussi de Thomas Corneille, qui avait revu, corrigé et versifié la prose de Molière. Remanier une pièce de Molière et la récrire ! Thomas Corneille avait été convié par la veuve du poète à ce métier de rebouteur et il s’en était acquitté avec une dextérité qui aggrave son cas. Une scène avait fait scandale, la scène du moine bourru : Thomas Corneille la supprime ; il ajoute une scène de son cru, il abrège ou développe d’autres scènes. À ce prix, et sous ce travestissement, la pièce partit pour une magnifique carrière. Comme le remarque naïvement le Mercure, M. Corneille le jeune avait fait merveille par sa « prudence. » Il avait passé partout le niveau de sa banalité et le poli de son élégance. Tout avait disparu de ce qui pouvait choquer, arrêter, déconcerter. Il restait une comédie légère, gaie, divertissante, d’où s’était envolé, évanoui, comme par enchantement, tout ce qui faisait la valeur de l’original et lui donnait sa portée. Ne heurter rien ni personne, c’est le dernier mot et le fin du fin dans cet art de réussir… Quand Thomas Corneille se présenta à l’Académie, il fut élu, dès la première fois, et à l’unanimité : c’est un signe.

Ce favori du succès n’en fut ni la dupe ni la victime. Il ne se laissa pas gâter par lui. Les acclamations elles-mêmes qui accueillirent Timocrate ne lui firent pas illusion : il les mit sur le compte de l’ « injuste caprice du siècle. » « Qui ne serait désarmé par tant de modestie ? demande avec raison M. Gustave Reynier. Et même, qui pourrait refuser son estime à un homme qui a eu assez de raison pour ne pas considérer les succès d’argent comme des titres de gloire et pour devancer sur ses propres ouvrages le jugement de la postérité ? » La postérité ne s’occupe pas beaucoup de Thomas Corneille ; et les occasions qu’on a de parler de lui sont rares : j’ai saisi celle qui m’était offerte et qui a peu de chances de jamais se représenter.

Le baron d’Albikrac que la Comédie-Française vient d’exhumer est longtemps resté au répertoire, parce qu’il comporte un rôle de grand valet qui a souvent tenté les comédiens. Une vieille tante, qui est une vieille folle, prend pour elle les soupirs qui s’adressent à sa nièce. On lui persuade que ses conquêtes se sont étendues jusqu’en province et qu’un baron campagnard a pris le coche pour venir l’épouser. Le valet La Montagne, un drôle plus impudent que spirituel, figurera le baron prétendu… On songe à Agnès, à Relise, à Pourceaugnac, à Mascarille. La pièce, qui date de 1668, mais est