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est certes dans une situation délicate, puisqu’il est lui-même Timocrate. Mais dix autres tragédies au XVIIe siècle sont de sentimens aussi faux, de langage aussi doucereux et de situations aussi saugrenues. Pourquoi Timocrate et non pas elles ? Avouons que nous n’en savons rien. Timocrate tirait tout son charme d’une correspondance merveilleuse et indéfinissable avec le goût du moment, charme subtil qui en s’évaporant ne laisse rien après lui. Il est venu à son heure : c’est tout ce que nous en pouvons dire.

Venir à son heure, ce fut toujours le mérite de Thomas Corneille. Pendant les années où son frère, découragé par l’échec de Pertharite, se réduit au silence, il remplit l’intérim et fournit le public de tragédies cornéliennes. Il en fera plus tard de raciniennes et le nom qu’il porte ne l’empêchera pas d’imiter le jeune el triomphant rival de son frère vieilli. Toutes ces influences ont été très bien débrouillées par M. Gustave Reynier dans une de ces thèses doctes et élégantes qu’affectionnait la Sorbonne d’autrefois et auxquelles reviendra la Sorbonne de demain, délivrée du pédantisme germanique. Cependant tragédie et comédie voient se lever contre elles une redoutable concurrence, celle des pièces à machines et de l’opéra. Thomas Corneille donne avec son succès coutumier Circé, pièce à machines, et Bellérophon, opéra. Avec lui, où fait le tour du théâtre au XVIIe siècle.

Il est un dernier élément de succès dont il serait étonnant qu’il eût résisté à se servir : l’actualité, et l’actualité qui confine au scandale. Le procès de la Voisin s’instruisait. L’affaire, où étaient impliquées les plus grandes dames et compromis les plus beaux noms, faisait un bruit considérable. Mettre sur la scène le cabinet d’une sorcière, quel coup de réclame ! Thomas Corneille bâcla une pièce en collaboration avec De Visé. La Devineresse fut jouée pour la première fois le 19 novembre 1679, trois mois avant l’exécution de la Voisin : elle eut quarante-cinq représentations ; à mesure qu’approchait la date du supplice, la recette montait. Bien entendu, la pièce n’avait avec le terrible drame judiciaire qu’une lointaine analogie. Entre les pratiques criminelles de la faiseuse d’anges et les innocentes fourberies de Mme Jobin, il y a toute la distance qu’y devait mettre une prudente censure. Il reste que les auteurs de la Devineresse avaient exploité une curiosité malsaine. Car la recherche du succès à tout prix enferme nécessairement un germe d’immoralité.

Mais c’est un autre grief que nous avons contre Thomas Corneille, et sur lequel il nous est plus difficile de passer condamnation. Pendant