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REVUE DRAMATIQUE


A travers les théâtres. — COMEDIE-FRANÇAISE : Le baron d’Albikrac, comédie de Thomas Corneille. — Nicomède, tragédie de Pierre Corneille. — Bibliographie. A. Joannidès : La Comédie-Française en 1914. — Pour Mme Sarah Bernhardt.


Ce n’est pas la vie normale, cela ne peut et ne doit pas être la vie normale, mais c’est quelque chose qui s’efforce d’y ressembler. L’Odéon, la Porte-Saint-Martin, d’autres théâtres, ont fait une sorte de réouverture. Ils jouent, surtout en matinée, et quelquefois le soir avant onze heures, des pièces anciennes qu’interprètent des artistes ayant passé l’âge de la mobilisation. Les salles sont très honorablement remplies ; le public, attentif au spectacle, s’émeut aux endroits pathétiques et s’égaie aux traits de comédie. Aussi éprouve-t-on d’abord, à s’y mêler, un certain malaise. On songe : « Se peut-il que des personnes s’assemblent dans ces demeures de la fiction, quand elles ont, si près d’elles, de si effroyables réalités ? Le théâtre de la guerre, qui embrasse, ou peu s’en faut, le monde entier, ne les a-t-il pas dégoûtées des autres théâtres ? Entre les angoisses publiques et les tristesses intimes leur reste-t-il des larmes pour les verser sur des souffrances imaginaires, et le rire n’est-il pas une insulte à nos deuils ? » On ne peut se défendre de cette première impression, échapper à ce brusque serrement de cœur. Entrer dans ces lieux de divertissement sans en demander pardon, au fond de soi-même, à ceux qui là-bas souffrent et meurent pour nous, ce serait une grande honte. Réfléchissons toutefois. Comprenons que nous devons encourager tout ce qui peut aider ce pays à retrouver son activité. Le théâtre est, lui aussi, une industrie qui importe à la reprise des affaires. Comme on pressait Molière de quitter sa troupe, pour entrer à l’Académie, il refusa, ne voulant pas priver de leur gagne-pain