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comme hérétique, après avoir été décapité toutefois, suivant la coutume clémente de l’Église en Italie. Flaminio traduisit pour elle le Livre des Considérations et un Commentaire de Valdès sur les Psaumes. Valdès composa à son intention un Alfabeto cristiano d’une hétérodoxie tempérée. Elle mourut en 1566, juste à temps pour ne pas être brûlée vive, car Pie V, qui venait d’être élu, déclara que, s’il avait eu connaissance de sa correspondance, il ne l’eût certes pas épargnée.

A Ferrare, Renée de France avait créé un centre fort actif de calvinisme ; on a prétendu que Calvin la visita, ce qui est incertain, mais il est sûr qu’il l’encouragea et entretint avec elle une active correspondance ; Marot fut son hôte et peignit les misères de ce « lys au milieu des épines. » Sur un livre d’heures qui lui a appartenu, on voit représentés un cardinal ramassant un jeu de cartes, des moines jouant aux dés-, une église entourée de flammes avec un cadran sur la façade, marquant la fin des temps. Vittoria Colonna avait séjourné quelque temps auprès de la duchesse et l’avait confirmée dans ses idées ; elle était devenue comme elle la protectrice des capucins et d’Ochino, de même que de tous les Français huguenots qui venaient chercher à Ferrare un refuge temporaire. Autour d’elle s’était formé un groupe nombreux de protestans, qui allaient semer leurs doctrines dans toute la région environnante. Sa Cour en était pleine ; le duc protestait bien ; il fit venir de France un convertisseur fameux, le chef de l’Inquisition du royaume de France, Mathieu Ory, qui entreprit Renée ; (1554) ; elle résista ; le duc était fort en peine ; d’un côté, il ne voulait pas indisposer le Souverain Pontife qui était son suzerain, de l’autre, il ne lui convenait pas de sévir contre une fille du sang de France, petite-nièce du roi François Ier dont il était le protégé. D’ailleurs Calvin avait dépêché auprès d’elle un homme de sa main, le plus habile de ses dialecticiens, le seigneur de Collonges. Le duc semble avoir livré la correspondance de Renée, qui était accablante ; on lui fit son procès ; Ory joua le rôle d’accusateur ; Renée fut, ce semble, condamnée à la prison, car, le lendemain, elle était conduite sous escorte du palais ducal au vieux palais qui, depuis des années, servait de geôle plutôt que d’habitation.

C’est dans ce palais que, cent trente ans auparavant, un ancêtre du duc, le marquis Nicolas III, avait fait trancher la