Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/418

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enseigner (21 juin 1539). » Mais Ochino ambitionnait de répandre partout ses idées ; il alla à Pérouse, à Florence, à Venise. Le cardinal Bembo l’entendit. Ces deux hommes si différens de tempérament, de programme de vie, d’éducation, l’un homme d’étude, soucieux des nuances et curieux sur toutes choses de beau langage ; l’autre impétueux, n’ayant d’autre souci que celui de ses doctrines et tout occupé des intérêts de son ordre, se comprirent parfaitement. Bembo fut séduit. « Notre frère Bernardino, écrivait-il à la marquise Vittoria Colonna, est adoré ici ; je veux l’appeler mien, comme Votre Altesse l’appelle sien. » La liberté dont il jouissait l’enhardissant, il laissait de plus en plus percer ses doutes sur l’utilité des jeûnes, sur l’efficacité des indulgences ; il parlait du purgatoire, du libre arbitre, de l’autorité pontificale comme on le faisait outre-monts. Les écrits de saint Augustin lui servaient le plus souvent de thème ; il les interprétait de façon nouvelle. Ainsi, en donnant le sens interrogatif à la phrase : Qui fecit te sine te non salvabit te sine te, il en tirait un argument favorable à sa thèse qu’on n’avait pas aperçu auparavant. Le Pape le manda à Rome. On se demanda si c’était pour le créer cardinal ou le livrer à l’Inquisition. Il hésita, consulta ses amis, se crut menacé, et il semble qu’il l’était en effet ; finalement il quitta l’Italie en fugitif. Ses amis éprouvèrent une grande surprise, dont nous pouvons nous étonner, en apprenant cette rupture qui devint plus éclatante encore quand Ochino eut fondé à Genève une église protestante italienne et se fut marié. Dans le vingtième de ses Trente Dialogues, il soutient même que, si l’on demande à Dieu avec sincérité le don de continence et que Dieu ne l’accorde pas, on a le droit de prendre une concubine, « car si l’on fait ce que Dieu pousse à faire, à la condition que l’on se soit bien rendu compte que c’est par un instinct divin, on ne pèche pas ; on ne saurait en effet errer en obéissant à Dieu. »

Bernardino Ochino est sans doute le type le plus achevé de ces moines qui propagèrent les doctrines nouvelles, les uns sans se détacher, les autres en se détachant insensiblement de l’Eglise catholique ; mais bien d’autres jouèrent un rôle important dans la Réforme italienne. Vergerio fut du nombre, ainsi que Vermiglio. L’électeur palatin Frédéric le Sage, celui-là même grâce au refus duquel Charles-Quint obtint la couronne impériale, avait chargé le baron Schenck, qui était moine, de lui procurer