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tir, très ajusté, bouleversa les tranchées et fit subir à nos compagnies de très grosses pertes[1]. » Et, à onze heures, 40 000 Allemands marchèrent sur Dixmude.

C’était l’attaque par masses profondes, comme au début du siège, mais mieux soutenue, « montée » par des troupes fraîches ou renforcées et qui connaissaient les points faibles de l’adversaire. Encore n’est-il pas sûr qu’elle eût réussi sans l’inconcevable fléchissement de nos positions de la route d’Eessen. Nous avions là trois lignes successives de tranchées. Il faut que la première ait été complètement démolie et sa section tout de suite hors de combat. Défait, le feu ennemi était si intense que le lieutenant de Nanteuil, qui occupait la tranchée d’arrière, avait dû mettre son monde à l’abri d’un tas de paille. La colonne attaquante put ainsi tomber sur la deuxième ligne où se trouvait le commandant Rabot et l’exterminer presque entièrement. Quatre fusiliers seulement parviennent à s’échapper. Du toit de la ferme où elle est postée, une vigie les aperçoit et jette l’alarme :

— Les Boches… à 400 mètres !

— Aux armes ! crie de Nanteuil. Aux tranchées !

Lui-même, pour observer l’ennemi, se porte au point le plus exposé ; mais, pris en enfilade, il est atteint d’une balle au cou, qui lèse la moelle épinière. Comment ses hommes réussirent-ils à l’emporter ? Il gardait sa connaissance et ne se faisait pas d’illusion. Toute son énergie semblait concentrée dans ce désir : aller mourir en France. Son souhait a été exaucé.

Et alors, ces trois lignes de tranchées enfoncées, ce fut le débordement. La vague allemande nous submergeait. L’ennemi, qui avait pénétré dans l’intérieur de la défense et que de nouvelles colonnes renforçaient à tout instant, nous prenait d’écharpe, de flanc et de revers. L’une après l’autre, nos positions craquaient. Déjà les premiers fuyards arrivaient devant Dixmude.

— Où vas-tu ? crie un officier à un marin auquel il barre le passage.

— Capitaine, un obus a cassé mon fusil dans la tranchée. Mais donnez-m’en un autre et j’y retourne.

On lui donne le fusil d’un mort et ce brave replonge dans la

  1. Cité par le Dr Caradec, op. cit.