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toutes leurs lettres revient la même note : « Quoique ça, tout va bien, et l’on ne se fait pas de bile, surtout quand on peut f… une tournée aux Boches[1]. » Ceci console de cela. Les risques de la tranchée, ils les connaissent et ils les préfèrent à l’inaction de la vie en réserve. « Et voilà douze jours de bataille, écrit le 28 octobre le fusilier C…, d’Audierne, et, ce soir, nous devons aller en première ligne, car on est mieux au feu qu’au repos. » Paradoxe ? Forfanterie ? Non. Ils parlent comme ils pensent. Ce sont des embusqués à rebours.


XI. — L’ATTAQUE DU CHATEAU DE WOUMEN

La Toussaint fut presque aussi calme que les deux jours précédens. Nous refîmes nos tranchées ; l’amiral mit de l’ordre dans ses régimens et transporta son quartier général à Oudecappelle. Alfred de Nanteuil, depuis la veille en deuxième ligne, constatait dans son journal cette trêve des « marmites, » sinon des shrapnells et des balles, « qui sifflent un peu comme certaines mouches en été. » Mais, sur le vaste horizon, des fermes brûlaient. La triste nuit de novembre était éclairée et comme « jalonnée » par des brasiers qui attestaient que, pour avoir changé de forme, les distractions de l’ennemi n’avaient pas acquis plus d’aménité. « Un de mes hommes, note Alfred de Nanteuil, a trouvé l’autre jour, dans le sac d’un Allemand, une main de petit enfant coupée… » Et, à Eessen, où l’abbé Deman, un jeune prêtre de vingt-huit ans, servait comme vicaire, ses bourreaux, après s’être donné le divertissement de lui faire creuser sa fosse, le fusillaient « dans le cimetière même de sa paroisse[2]. »

Nous eûmes, du reste, le lendemain, l’explication de cette apparente inertie de l’adversaire. Quelques « marmites » sur les tranchées et les fermes où nous avions nos services de ravitaillement ne suffirent pas à nous donner le change. Dans le

    taire par les mains mêmes du général Foch. L’Officiel relate ainsi son fait d’armes : « Alain, fusilier breveté ; entouré, avec un groupe de ses camarades, par un fort parti d’ennemis, n’a pas voulu se rendre, s’est caché dans une meule de foin, y est resté quatre jours à observer l’ennemi et a réussi à regagner nos lignes en rapportant des renseignemens précieux, »

  1. Lettre du fusilier P. M…
  2. Déclaration de M. l’abbé Vanryckeghem, au dire de qui les curés de Saint-Georges, de Mannekensverke et de Vladsloo auraient été aussi exécutés.