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fîmes là d’assez grosses pertes, dont le lieutenant de vaisseau Eno et une partie de la 7e compagnie du 2e bataillon. Mais le moral des hommes ne pliait pas. Témoin ce quartier-maître Leborgne, blessé à la tête, évacué sur l’ambulance pendant une accalmie, qui s’en échappait en entendant la reprise de la canonnade et revenait se faire tuer à son poste ; ou ce clairon Chaupin qui, voyant des recrues faire le gros dos sous la rafale, leur criait : « Regardez-moi, les p’tiots ! » et, magnifiquement brave, dressé de toute sa taille pour traverser la zone dangereuse, les entraînait dans son sillage d’héroïsme[1]. Le feu de l’ennemi, grâce au repérage de ses avions et aux intelligences qu’il comptait dans la place, témoignait d’une justesse surprenante. « Dans l’espace de deux heures, de dix heures et demie à midi et demi, écrit un des officiers qui commandait une des sections les plus exposées, le lieutenant de vaisseau T. S…, il est tombé une cinquantaine de shrapnells autour de nous. À une heure, j’avais le quart de mon effectif hors de combat. Je fais demander du renfort et des vivres, — nous étions sur la ligne de feu depuis soixante heures. Le commandant me donne l’ordre verbal de me replier. Je consulte mes gradés et mes hommes : « Faut-il partir sans avoir été remplacés ? — Nous ne pouvons le faire, lieutenant ! » Une heure après, l’ordre écrit m’arrivait de quitter la tranchée. Force me fut d’obéir, non sans avoir enterré nos morts et emporté nos blessés. Voilà, chers parens, de quoi sont capables nos marins : ils tiennent jusqu’à la gauche. Le soir même, la tranchée était occupée par une autre section de marins. »

Et, ce même soir du 26 octobre, cette tranchée, — ou une autre, — était de nouveau attaquée et ne restait dans nos mains que par un miracle d’héroïsme. L’ennemi avait pu s’approcher à quelques mètres et chargeait « en poussant des hurrahs ; » nos mitrailleuses, encrassées, ne jouaient plus. Mais c’était le lieutenant de vaisseau Martin des Pallières qui commandait la section. « Des Pallières, dit un témoin, bondit sur le parapet de la tranchée et abat lui-même les premiers assaillans. Son exemple surexcite les hommes. L’ennemi est refoulé[2]. » Le lendemain, un obus l’anéantissait.

  1. Dr  Caradec, op. cit.
  2. Martin des Pallières était le neveu de l’amiral commandant la brigade des fusiliers en 1870. « Homme d’une bravoure très simple et très gaie, anéanti