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d’une sentinelle impressionnable qui lâche au hasard son coup de fusil pour que toute la section lui fasse écho[1].

Convaincu qu’il s’agit d’une méprise de ce genre, l’état-major, dont le poste est encore à la gare de Caeskerke, crie aux sections de cesser le feu. Cependant, comme la fusillade continue dans la direction de la ville, l’amiral détache en reconnaissance un de ses officiers, le lieutenant de vaisseau Durand-Gasselin, qui pousse jusqu’à l’Yser sans trouver d’ennemi. La fusillade s’est tue ; partout, les voies sont libres ; le lieutenant Durand-Gasselin retourne vers Caeskerke. En route, il croise une voiture d’ambulance de la brigade qui remontait vers Dixmude. Un peu surpris, il l’arrête : la voiture était occupée par des Allemands, qui se rendirent d’ailleurs sans résistance. Mais cette capture a donné un nouveau tour aux réflexions de l’état-major : il ne fait plus de doute qu’un raid d’infanterie a été tenté sur la ville ; les Allemands de la voiture d’ambulance appartiennent vraisemblablement à la troupe d’assaillans mystérieux qui s’est jetée dans la nuit sur Dixmude et qui s’est non moins mystérieusement évanouie après ce singulier coup d’audace. On s’est assuré, en effet, qu’aucune de nos tranchées de couverture n’a été prise. L’énigme est inquiétante ; mais, par cette nuit poisseuse, qui prête sa complicité à l’ennemi, il ne sert pas d’en chercher le mot : on ne l’aura que le matin, au petit jour, quand un de nos détachemens, en surveillance sur l’Yser, apercevra tout à coup, dans une prairie, un bizarre ramassis de Belges, de fusiliers marins et d’Allemands. Nos hommes ont-ils été faits prisonniers ? Ou sont-ce eux qui tamènent les Allemands ? L’incertitude dure peu. Une brève mousqueterie : les marins tombent ; la bande s’égaille. Voici ce qui s’était passé.

À la vérité, des versions assez différentes ont été données de l’incident, un des plus dramatiques de la défense et au cours duquel, avec quelques autres, tombèrent mortellement frappés l’héroïque commandant Jeanniot et le Dr Duguet, médecin principal du corps de santé[2]. De l’avis général cependant, l’attaque

  1. Cf. Charles Tardieu : Impressions d’un caporal.
  2. « Homme de devoir et d’une haute compétence professionnelle, le dévouement et l’abnégation mêmes, » m’écrit du Dr Duguet un correspondant. On ne saurait dire assez, du reste, combien le corps de santé de la brigade, depuis son chef le Dr Seguir, jusqu’aux derniers des médecins de 3e classe, sortis la veille de l’École de Bordeaux, montra d’admirables qualités au cours de la campagne. Le corps de santé fut aussi éprouvé que celui des officiers.