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regrettable peut-être que la langue n’ait pas un autre mot pour désigner l’opération hydrographique à laquelle nous allions assister : à défaut du substantif, elle possède du moins un verbe qui a surpris, comme un néologisme, la plupart des lecteurs de communiqués, mais qui, en réalité, s’est employé de tout temps dans les Flandres, et qui a l’avantage de rendre admirablement la nature de l’opération. C’est le verbre tendre. On tend une inondation là-bas, comme on tend un filet. Pas d’image plus exacte. Le tendeur, en l’espèce, est aux écluses de Nieuport. C’est un chef-wateringue qui a sous ses ordres une douzaine d’hommes armés de leviers pour la manœuvre des crics. À l’heure du flot, il fait lever les vannes des écluses : la mer entre, forçant les eaux douces du canal et de ses tributaires à refluer ; et la mer ne redescend pas : les vannes ont été abaissées. Désormais les eaux douces, qui accourent de partout dans le bassin de l’Yser, n’auront plus d’écoulement ; elles ajouteront lentement, inlassablement, leur apport à celui de la marée ; peu à peu elles déborderont les digues des canaux collecteurs, gagneront les watergands, prendront tout le schoore dans leurs mailles. C’est une montée sournoise, muette, sans arrêt, sur un sol déjà imbibé, gonflé comme une éponge et incapable d’absorber une goutte d’eau de plus. Tout ce qui tombera là, qu’il vienne du ciel sous forme de pluie ou des collines de Cassel sous forme de torrens, demeurera en surface. Nul moyen d’arrêter l’inondation, tant que les vannes ne sont pas levées. Qui tient Nieuport, tient par ses écluses tout le pays. Ainsi s’explique l’insistance, heureusement tardive, que mettront les Allemands à essayer de s’en emparer : par les dunes de Lombaertzide et de Middelkerke, ils tenteront une surprise, qui réussirait peut-être sans la coopération que prêtera tout à point aux forces belges la flotte anglo-française ; sous le feu des monitors, l’attaque allemande devra reculer et ne parviendra pas à mettre la main sur le jeu d’écluses de Nieuport. L’inondation continuera. Quand ses dernières mailles seront nouées, toute la trame ourdie, elle s’étendra en demi-cercle sur une zone de 30 kilomètres, et cette immense lagune artificielle, large de 4 à 5 kilomètres, profonde de trois à quatre pieds, où des escadrons et des batteries légères pourraient donc à la rigueur, s’engager, si les brusques dépressions des watergands et des canaux collecteurs n’y ouvraient à chaque pas des trappes