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le fusilier R…, car, dans nos tranchées couvertes, nous sommes inexpugnables. » Déçu, l’ennemi se retourna vers la ville qu’il recommença au petit jour à bombarder. Par hasard, le temps s’était nettoyé, « débouché, » disent les marins : le schoore souriait ; l’alouette chantait ; lasses de meugler après l’étable ou déjà résignées à leur vie d’abandon, des vaches ruminaient au soleil[1], et l’interminable file des canaux, les flaques argentées des watergands luisaient doucement sur le velours brun du palus. Le ciel, lui, comme chez le Psalmiste, s’armait de tonnerre et d’éclairs. Le bombardement devint particulièrement intense dans l’après-midi. « Par momens, la ville s’effondrait, écrit un officier. Les Allemands avaient d’abord amené contre elle du 10 centimètres, puis du 15 centimètres, puis du 21 centimètres, puis, comme cela ne suffisait pas, pour avoir raison de ces satanés marins, on finit par leur servir le grand jeu : 305 et 420[2]. » Nos compagnies de réserve dans Dixmude ne laissaient pas d’être fortement éprouvées par ce feu terrible, malaisé à repérer et plus malaisé encore à éteindre avec nos canons courts. Pour ajouter au désarroi de la situation, nous apprenons tout à coup que l’ennemi, à quatre heures, s’est emparé d’une tranchée des lisières extérieures, au Sud de la ville. Surprise par une attaque en force, la section belge qui l’occupait, après une belle résistance, « quelques belles secousses, » dira pittoresquement un marin, a cédé, entraînant la débandade de la section de fusiliers en soutien derrière elle. Seul le lieutenant de vaisseau Cayrol est resté à son poste, revolver au poing, pour permettre à ses hommes d’emporter les mitrailleuses[3]. Trois compagnies se glissent immédiatement vers les tranchées compromises, après que nos canons en ont un peu nettoyé les abords. « Nous voilà en tirailleurs, écrit un des acteurs de cette scène, et, pendant que les Boches essaient de se reformer, avant qu’ils soient revenus de leur surprise, à cinquante mètres, feu de salve, puis à la baïonnette. Il fallait les voir courir comme

  1. « On voit les animaux courir partout sur les routes, dans les champs, personne ne s’occupe d’eux. » (Lettre du fusilier E. T…) Voyez aussi, plus loin, de Nanteuil.
  2. Cf. Dr Caradec, op. cit.
  3. La note qui me fournit ce renseignement sur l’héroïque conduite du lieutenant Cayrol ajoute : « Reçoit une balle en plein front. Rapporté par ses hommes au poste de secours où il nous rend compte de l’événement et de la bravoure de ses hommes. Ne se laisse évacuer qu’après avoir reçu l’assurance que ses mitrailleuses sont sauvées. — Revenu au front. »