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sa conduite, et elle agit ensuite d’une manière qui était tout opposée à ce manifeste. « C’était, directement et personnellement, viser l’empereur Charles VI. Maladresse et provocation. Voltaire estompe le contour : « on voit quelquefois des Puissances… » À la première lecture, manuscrit remis au libraire van Duren, il avait laissé passer des choses qu’à la seconde, interprétant mal les résistances de l’auteur, il rejette rigoureusement. Par cette double distillation, et au moyen de quelques raccords, avec, de place en place, un replâtrage, généralement historique, est obtenu le texte publié chez Pierre Paupie, qui est presque autant de Voltaire que de Frédéric. Dans la forme, le livre n’y perd pas, il y gagne ; il est moins trainant, moins pesant, débarrassé de ses semelles de plomb, plus vif, plus facile. Quant à la valeur même de l’Antimachiavel, comme œuvre de critique morale et politique, elle n’y a ni perdu ni gagné. Après comme avant Frédéric et Voltaire, le machiavélisme est demeuré debout, si, en son fond perpétuel et universel, il se réduit à cette définition réaliste de la politique : « l’art de plier soit les hommes aux choses, soit les choses aux hommes et de conformer les moyens au but. » L’erreur est venue justement d’avoir voulu, contre Machiavel, faire œuvre tout à la fois de critique morale et de critique politique, autrement dit, d’avoir réuni ce que Machiavel a séparé, et de s’être ainsi trompé sur la nature, l’objet, et le caractère du machiavélisme. C’est ce qu’un Allemand, qui ne saurait être accusé d’irrévérence pour la mémoire du roi de Prusse, le célèbre professeur Robert de Mohl, a constaté dans ce jugement : « D’une véritable réfutation de Machiavel, il n’y en a proprement pas un mot ; bien plutôt, tout le travail du prince n’est-il qu’un grand malentendu ; » en bon français, ce n’est qu’un long contresens.

Le machiavéliste, en effet, ne regarde pas à la qualité morale des moyens, il n’en fait pas une question de conscience ; il n’épilogue pas pour savoir si tel ou tel les emploierait, ni si lui-même n’en préférerait pas d’autres : si le succès est au bout ils sont bons, et ils ne valent rien s’ils ne réussissent pas. Ce n’est point qu’il y ait deux morales, mais c’est qu’en politique, pour Machiavel, il n’y a point de morale, ou que la politique est une chose, et la morale une autre chose. — Tu veux aller là, en voici le plus court et le plus sûr chemin. Maintenant ton