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Quoique j’eusse retranché ou adouci beaucoup de ces vérités fortes qui irritent les esprits faibles, il en est cependant encore resté quelques-unes dans le manuscrit copié par van Duren. Tous les gens de lettres, tous les philosophes, tous ceux qui ne sont que gens de bien, seront contens. Mais le livre est d’une nature à devoir satisfaire tout le monde ; c’est un ouvrage pour tous les hommes et pour tous les temps. Il paraîtra bientôt traduit dans cinq ou six langues.

« Il ne faut pas, je crois, que les cris des moines et des bigots s’opposent aux louanges du reste du monde : ils parlent, ils écrivent, ils font des journaux : il y a même, dans l’Antimachiavel, quelques traits dont un ministre malin pourrait se servir pour indisposer quelques puissances.

« C’est donc, Sire, dans la vue de remédier à ces inconvéniens, que j’ai fait travailler nuit et jour à cette nouvelle édition (celle de Pierre Paupie), dont j’envoie les premières feuilles à Votre Majesté. Je n’ai fait qu’adoucir certains traits de votre admirable tableau, et j’ose m’assurer qu’avec ces petits correctifs, qui n’ôtent rien à la beauté de l’ouvrage, personne ne pourra jamais se plaindre, et cette instruction des rois passera à la postérité comme un livre sacré que personne ne blasphémera.

« Votre livre, Sire, doit être comme vous, il doit plaire à tout le monde ; vos plus petits sujets vous aiment, vos lecteurs les plus bornés doivent vous admirer. »

Puis, tout à coup, au galop, par-dessus l’épaule, la flèche du Parthe : « Ne m’affichez pas trop ! » recommande Frédéric ; mais qui l’a affiché ? qui s’est affiché ?

« Ne doutez pas que votre secret, étant entre les mains de tant de personnes, ne soit bientôt su de tout le monde. Un homme de Clèves disait, tandis que Votre Majesté était à Moyland : « Est-il vrai que nous avons un Roi, un des plus savans et des plus grands génies de l’Europe ? On dit qu’il a osé réfuter Machiavel. »

« Votre Cour en parle depuis plus de six mois. Tout cela rend nécessaire l’édition que j’ai faite, et dont je vais distribuer les exemplaires dans toute l’Europe, pour faire tomber celle de van Duren, qui d’ailleurs est très fautive.

« Si, après avoir confronté l’une et l’autre, Votre Majesté me trouve trop sévère, si elle veut conserver quelques traits