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« Tout ce que je puis vous répondre à présent, c’est que je remets le Machiavel à votre disposition, et je ne doute point que vous n’en usiez de façon que je n’aie pas lieu de me repentir de la confiance que je mets en vous. Je me repose entièrement sur mon cher éditeur. »

À la mi-septembre, des copies sont prêtes pour Londres, pour Paris et pour la Hollande. Van Duren ne triomphera pas : Pierre Paupie et Guillaume Meyer sont sous roche. Voltaire conduit avec sa maîtrise accoutumée cette affaire de librairie. Néanmoins, le Roi, à qui une de ces copies a été soumise, proteste. Encore un coup, on l’a trop déguisé !

« J’ai lu le Machiavel d’un bout à l’autre ; mais, à vous dire le vrai, je n’en suis pas tout à fait content, et j’ai résolu de changer ce qui ne m’y plaisait point, et d’en faire une nouvelle édition, sous mes yeux, à Berlin. J’ai, pour cet effet, donné un article pour les Cazettes, par lequel l’auteur de l’Essai désavoue les deux impressions. Je vous demande pardon ; mais je n’ai pu faire autrement, car il y a tant d’étranger dans votre édition, que ce n’est plus mon ouvrage. J’ai trouvé les chapitres XV et XVI tout différens de ce que je voulais qu’ils fussent ; ce sera l’occupation de cet hiver que de refondre cet ouvrage. Je vous prie cependant, ne m’affichez pas trop, car ce n’est pas me faire plaisir ; et d’ailleurs, vous savez que, lorsque je vous ai envoyé le manuscrit, j’ai exigé un secret inviolable. »

Deux mots sont à retenir de cette mercuriale : « Je ne suis pas content de votre édition ; j’en ferai une nouvelle, sous mes yeux, à Berlin ; » et : « Ne m’affichez pas trop. » Voltaire ne doit pas avoir la conscience absolument en paix, il prend les devans ; il caresse, il flatte, il lèche :

« Sire, V. Majesté est d’abord suppliée de lire la lettre ci-jointe du jeune Luiscius ; elle verra quels sont, en général, les sentimens du public sur l’Antimachiavel.

« M. Trévor, l’envoyé d’Angleterre, et tous les hommes un peu instruits, approuvent l’ouvrage unanimement. Mais je l’ai, je crois, déjà dit à Votre Majesté, il n’en est pas tout à fait de même de ceux qui ont moins d’esprit et plus de préjugés. Autant ils sont forcés d’admirer ce qu’il y a d’éloquent et de vertueux dans le livre, autant ils s’efforcent de noircir ce qu’il y a d’un peu libre. Ce sont des hiboux offensés du grand jour ; et malheureusement, il y a trop de ces hiboux dans le monde.