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le titre de trois : la première est Antimachiavel ; la seconde, Discours d’État contre Machiavel ; la troisième, Fragmens contre Machiavel.

« Je serais bien aise de les voir, afin d’en parler, s’il en est besoin, dans ma préface ; mais ces ouvrages sont probablement fort mauvais, puisqu’ils sont difficiles à trouver ; cela ne retardera en rien l’impression du plus bel ouvrage que je connaisse. Que vous y faites un portrait vrai des Français et du gouvernement de France ! Que le chapitre sur les puissances ecclésiastiques est intéressant et fort ! La comparaison de la Hollande avec la Russie, les réflexions sur la vanité des grands seigneurs qui font les souverains en miniature, sont des morceaux charmans ! Je vais, dans l’instant, en achever la quatrième lecture, la plume à la main. Cet ouvrage réveille bien en moi l’envie d’achever l’Histoire du siècle de Louis XIV ; je suis honteux de faire tant de choses frivoles, quand mon prince m’enseigne à en faire de solides. »

Voltaire, qui est alors à Bruxelles (4 ou 5 juin), a le pressentiment qu’un événement s’approche, susceptible de tout changer :

« Je ne sais, Monseigneur, si vous serez encore au Mont Rémus, ou sur le trône, quand cet Antimachiavel paraîtra. Les maladies de l’espèce de celle du Roi sont quelquefois longues. J’ai un neveu, que j’aime tendrement, qui est dans le même cas absolument, et qui dispute sa vie depuis six mois. »

Le lendemain, 6 juin 1740, Frédéric II fixait ces incertitudes. Il était arrivé « à l’illustre auteur, » au « vertueux auteur, » ce qui n’arrive à ses confrères que très exceptionnellement : il était devenu roi.


A partir de là, Frédéric roi, c’est de la haute comédie. Voltaire a en mains le manuscrit ; il l’a lu et relu, il a « pioché » son Machiavel, préparé sa préface, couvé l’édition, tâté le libraire ; il ne veut plus lâcher l’Antimachiavel, ou plutôt, il veut le lâcher à l’imprimeur et au public ; il se réjouit à l’avance d’être dans le bruit que l’ouvrage va faire par toute l’Europe. Dans six ou sept semaines, si les libraires hollandais ne le trompent point, il enverra à S. M. « le meilleur livre et le plus utile qu’on ait jamais fait, » un livre digne du prince et de son