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de m’acquitter de ma tâche de mettre des points sur les i. Si V. A. R. daigne condescendre à la prière que je lui fais, si elle donne son trésor au public, je lui demande en grâce qu’elle me permette de faire la préface, et d’être son éditeur. Après l’honneur qu’elle me fait de faire imprimer la Henriade, elle ne pouvait plus m’en faire d’autre qu’en me confiant l’édition de l’Antimachiavel. Il arrivera que ma fonction sera plus belle que la vôtre ; la Henriade peut plaire à quelques curieux, mais l’Antimachiavel doit être le catéchisme des rois et de leurs ministres. »

Encore ! Mais Voltaire poursuit, avec une révérence de gentilhomme de la chambre, et non sans se mettre à couvert :

« Vous me permettrez, Monseigneur, de dire que, selon les remarques de madame du Châtelet, oserais-je ajouter, selon les miennes, il y a quelques branches de ce bel arbre qu’on pourrait élaguer, sans lui faire de tort. Le zèle contre le précepteur des usurpateurs et des tyrans a dévoré votre âme généreuse ; il vous a emporté quelquefois. Si c’est un défaut, il ressemble bien à une vertu. On dit que Dieu, infiniment bon, hait infiniment le vice ; cependant, quand on a dit à Machiavel honnêtement d’injures, on pourrait, après cela, s’en tenir aux raisons. Ce que je propose est aisé, et je le soumets à votre jugement. J’attendrai les ordres précis de mon maître, et je conserverai le manuscrit jusqu’à ce qu’il permette que j’y touche et que j’en dispose. »

Frédéric, qui, à mesure qu’il avance, se méfie de l’effet, désire prendre ses précautions (6 janvier 1740) :

« L’Antimachiavel ne mérite point d’être annoncé sous mon nom au roi de France. Ce prince a tant de bonnes et de grandes qualités, que mes faibles écrits seraient superflus pour les développer. De plus, j’écris librement, et je parle de la France comme de la Prusse, de l’Angleterre, de la Hollande, et de toutes les Puissances de l’Europe. Il est bon que l’on ignore le nom d’un auteur qui n’écrit que pour la vérité, et qui, par conséquent, ne donne point d’entraves à ses pensées. Lorsque vous verrez la fin de l’ouvrage, vous conviendrez avec moi qu’il est de la prudence d’ensevelir le nom de l’auteur dans la discrétion de l’amitié. »

Alors commence un joli jeu de coquetteries. Derrière Voltaire qui sourit, un peu grimaçant, la marquise minaude. Elle a déjà, écrit le 19 décembre 1739 :

« Il n’est pas possible, après avoir lu la Réfutation de