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« Où la matière me l’a permis, j’ai mêlé l’enjouement au sérieux et quelques petites digressions dans les chapitres qui ne présentaient rien de fort intéressant au lecteur. Ainsi les raisonnemens, qui n’auraient pas manqué d’ennuyer par leur sécheresse, sont suivis de quelque chose d’historique, ou de quelques remarques un peu critiques, pour réveiller l’attention du lecteur. Je me suis tu sur toutes les choses où la prudence m’a fermé la bouche, et je n’ai point permis à ma plume de trahir les intérêts de mon repos.

« Je sais une infinité d’anecdotes sur les cours de l’Europe, qui auraient à coup sûr diverti mes lecteurs ; mais j’aurais composé une satire d’autant plus offensante, qu’elle eût été vraie, et c’est ce que je ne ferai jamais. Je ne suis point né pour chagriner les princes, je voudrais plutôt les rendre sages et heureux. Vous trouverez donc dans ce paquet cinq chapitres de Machiavel, le plan de Remusberg, que je vous dois depuis longtemps, et quelques poudres qui sont admirables pour vos coliques. Je m’en sers moi-même, et elles me font un bien infini. Il les faut prendre le soir, en se couchant, avec de l’eau pure. »

Voltaire, ravi et touché, remercie le 28 décembre, en adressant au prince ses vœux de bonne année : il accepte et il inaugure ses fonctions, toujours périlleuses, de correcteur, doucement du reste et habilement :

« Je fais encore un souhait pour le public ; c’est qu’il voie la réfutation que mon prince a faite du corrupteur des princes. Je reçus, il y a quelques jours, à Bruxelles, les douze premiers chapitres ; j’avais déjà dévoré les derniers que j’avais reçus en France. Monseigneur, il faut, pour le bien du monde, que cet ouvrage paraisse, il faut que l’on voie l’antidote présenté par une main royale. Il est bien étrange que les princes qui ont écrit n’aient pas écrit sur un tel sujet. J’ose dire que c’était leur devoir et que leur silence sur Machiavel était une approbation tacite. C’était bien la peine que Henri VIII d’Angleterre écrivît contre Luther ; c’était bien à l’enfant Jésus que Jacques Ier devait dédier un ouvrage ! Enfin, voici le livre digne d’un prince, et je ne doute pas qu’une édition de Machiavel, avec ce contre-poison à la fin de chaque chapitre, ne soit un des plus précieux monumens de la littérature. Il y a très peu de ce qu’on appelle des fautes contre l’usage de notre langue ; et V. A. R. me permettra