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lorsque l’explosion de la poudre qu’il contient a lieu, cette explosion dégage brusquement une grande masse de gaz qui, dans le voisinage de l’obus, augmente soudain la pression atmosphérique. Cette augmentation de pression est énorme et elle s’exerce dans un assez grand rayon avec les explosifs modernes, ceux des Allemands comme les nôtres ; d’autre part, elle est extrêmement soudaine, extrêmement brusque, bien plus soudaine, bien plus instantanée pour les explosifs français que pour ceux de l’ennemi. Cette soudaineté est telle dans le cas de nos poudres actuelles que la rupture d’équilibre causée par leurs déflagrations dans les organismes voisins soumis à cet effet suffit à causer instantanément la mort. Effectivement, à l’autopsie des ennemis tués sans blessure apparente par nos obus de 75, on trouve généralement les poumons éclatés. C’est une sorte de congestion pulmonaire instantanée qui a fait son œuvre et qui est causée par l’extrême vitesse de déflagration de nos explosifs.


Ainsi la supériorité de nos projectiles provient surtout d’un phénomène chimique. Et ce n’est pas un des moindres paradoxes de cette guerre que de voir la chimie, cette chimie dont nos ennemis étaient si fiers et qu’ils considéraient presque comme leur monopole, comme un des pavois incontestés de leur supériorité, nous donner sur eux un avantage décisif en artillerie. Belle matière à philosopher sur la science en général, et la science allemande en particulier, sur leur rôle dans l’art de s’entre-massacrer et leur influence sur le bonheur de l’espèce humaine.

Nous qui lisons les journaux entre deux alertes, car ils nous arrivent maintenant assez régulièrement, nous avons vu depuis quelque temps, sur ces thèmes, pas mal de dissertations éloquentes et spécieuses. Elles nous auraient amusés si elles ne se ressentaient un peu trop des préoccupations de l’ « arrière » et si on n’y voyait réapparaître à tout propos et hors de propos cette tendance à tirer, pour et surtout contre telle ou telle conception philosophique, argument des faits que grave sur la page frémissante de chaque jour l’héroïque souffrance de nos soldats. En ranimant ainsi les malignes controverses qui rendaient parfois la paix si odieuse, on risque de blesser à travers leur idéal meurtri plus d’un de ceux qui se battent ; et ces blessures sont de celles qui ne se guérissent point.