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élégant d’ailleurs, — lorsqu’on la voit à un nombre de mètres suffisant pour que le sentiment esthétique ne soit mélangé d’aucune autre préoccupation plus terre à terre, — rien de plus élégant que cette gerbe élancée et s’évasant vers le haut comme un long calice de primevère. Mais malheur à ceux dont la bouche a touché ce calice ! Lorsque la marmite éclate le long d’un mur, il arrive que ses éclats y dessinent avec exactitude la forme parabolique de la gerbe qu’ils forment, et j’en ai vu parfois, de ces paraboles meurtrières tracées comme au burin sur la blancheur d’un mur et assez pareilles à certaines queues de comètes. Nos obus explosifs se comportent de façon très différente : leur fusée est construite de telle sorte que l’éclatement ne se produit pas à l’instant précis où l’obus touche le sol, mais seulement un peu après. Pour un tir assez tendu comme est celui du 75, l’obus arrivant à terre sous une faible inclinaison y creuse seulement un léger sillon et rebondit en l’air. La fusée est faite de manière que l’explosion ait lieu à cet instant même. Les éclats du projectile sont alors disséminés dans tous les sens et surtout vers le bas et dans un grand rayon en produisant le terrible coup de hache du 75, qui fauche et déchiquette tout ce qui est dans son cône d’action. Les obus explosifs allemands projettent leur gerbe vers le haut du fond d’un trou qui en limite la zone efficace. Les nôtres, au contraire, projettent la leur de plusieurs mètres de haut vers le sol et aucun angle mort, — je devrais dire aucun angle de vie, mais le langage a de ces bizarreries, — n’arrête son extension dans tous les sens. Et c’est pourquoi la ruse ulysséenne qui fait coucher nos hommes à l’arrivée des marmites ennemies ne réussirait pas aux Boches quand tombent nos obus explosifs. Au contraire, la surface vulnérable offerte à ceux-ci n’en serait qu’augmentée.

Ce n’est pas tout. On a signalé depuis longtemps, et nous avons souvent remarqué qu’un grand nombre de cadavres allemands victimes de nos canons n’offrent aucune blessure apparente. Ils offrent seulement ce caractère d’avoir la figure presque entièrement noire, et ce masque ténébreux qu’il impose aux faces ennemies est comme la signature immédiatement reconnaissable de notre obus explosif. Je m’excuse de ces détails macabres ; j’en pourrais donner bien d’autres à faire frémir, mais tout le monde n’a point cette accoutumance à l’horrible qu’on acquiert si vite sur les champs de guerre, et qui est