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J’en reviens donc à l’arrivée des marmites allemandes. Ces grosses personnes s’annoncent par des bruits variés qui permettent de les identifier assez facilement d’avance. C’est d’abord le petit et négligeable 77, le petit obus de campagne boche, je dis petit, parce que, plus grand que notre 75 par les dimensions, il est bien plus petit par les effets. Celui-là s’annonce par un sifflement assez aigu et continu. Au contraire, les grosses marmites allemandes, celles qui ont 15 centimètres, ou 22 ou 30 de diamètre à la base, celles qui pèsent une centaine de kilos ou davantage s’annoncent par un sifflement beaucoup plus grave et qui a ceci de très particulier d’être intermittent : ch… ch… ch… ch… on dirait de grosses locomotives poussives qui avancent péniblement. Cela fait peine à entendre, et nous sommes tous dans des transes que les pauvres n’arrivent jamais à destination et restent suspendues entre ciel et terre.

Je dis que les obus allemands (comme sans doute aussi les nôtres, pour les gens qui sont de l’autre côté de la barricade) s’annoncent par leur sifflement dans l’air. On entend ce sifflement souvent assez longtemps (jusqu’à une dizaine de secondes) avant l’arrivée du projectile ; la raison en est simple : le sifflement de l’obus est produit par son frottement contre l’air ; ce bruit nous arrive à travers l’atmosphère en ligne droite avec la vitesse du son qui est d’environ 340 mètres par seconde. Le projectile, lui, nous arrive moins vite, d’abord parce qu’il ne se propage pas suivant une ligne droite, mais suivant une courbe, ensuite et surtout parce que, à la fin de leur trajectoire, les obus ont en général une vitesse moyenne bien inférieure à celle du son. Cela dépend d’ailleurs de la nature de la pièce et de la distance à laquelle on tire. Si la pièce est un obusier, c’est-à-dire à une longueur faible par rapport à son calibre, la vitesse moyenne du projectile est inférieure à celle du son presque dès sa sortie de la pièce ; il n’en est pas de même avec les pièces à longue portée qui sont, proportionnellement à leur calibre, beaucoup plus longues[1]. Pour fixer les idées, je citerai une remarque que j’ai faite plusieurs fois : lorsque notre pièce de 90 (notre ancienne

  1. En somme, il y a à peu près la même différence entre l’obusier et la pièce à longue portée qu’entre le revolver et le fusil ; dans l’un et l’autre cas, le rapport de la longueur au calibre augmente de la première arme à la seconde, et partant sa portée. (J’entends ce dernier mot dans son sens ordinaire, car, en artillerie, le mot portée veut dire tout autre chose.)