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que la force et prêt à abuser de la sienne ; plein de dédain pour les petits États et les petits princes et cependant n’hésitant pas, à l’occasion, à les cajoler ; courtisan de l’opinion publique, surtout de celle du dehors, mais décidé, pour satisfaire ses ambitions, à la braver ; un chef d’Etat qu’on se plaisait à croire chevaleresque, tandis qu’il s’est révélé implacable dans ses rancunes ; d’une religion sincère autant qu’extérieure, qui ne l’empêchait pas de mettre son intérêt au-dessus des engagemens les plus sacrés et de fouler aux pieds sans remords les traités devenus gênans ; toujours préoccupé de jouer son rôle et habile à ménager ses effets ; habitué malheureusement à voir tout plier devant sa volonté ; tellement gâté par la fortune qu’il se considérait comme un être infaillible ; Nietzsche aurait pensé : comme un surhomme, et les Romains auraient dit : comme un demi-dieu.

On a prétendu que ce demi-dieu était plutôt un déséquilibré ou un dégénéré supérieur. Quelle erreur ! Il jouissait de toutes ses facultés, lorsqu’il a ordonné la mobilisation hâtive de ses troupes qui a rendu la catastrophe inévitable. On a soutenu qu’il avait été, sans s’en douter, l’instrument d’une caste et d’un parti pour qui la guerre était l’unique moyen d’affermir leur pouvoir. Il les a écoutés en effet, mais parce que leurs vues concordaient avec les siennes. Dans le jugement de l’histoire, c’est sur lui principalement que pèsera la responsabilité des malheurs dont l’Europe a été accablée. La lecture attentive, la comparaison minutieuse des documens relatifs aux courtes négociations poursuivies pendant la crise austro-serbe, prouvent à l’évidence qu’il aurait suffi à Guillaume II, jusqu’au dernier moment, de prononcer un mot pour empêcher la guerre. Par son ultimatum à la Russie, il l’a au contraire déchaînée à l’heure même qu’il s’était fixée.

On aimerait à croire qu’il a hésité, prêt à s’engager sur la route fatale qui s’ouvrait devant lui. On voudrait se figurer que sa conscience s’est révoltée un instant à la vision des flots de sang et des deuils déchirans que coûterait la mêlée prochaine, mais qu’il a été entraîné, malgré lui, par son destin. Fausses suppositions ! L’attaque avait été préméditée plusieurs années à l’avance, le coup préparé jusque dans ses plus petits détails, et c’est délibérément que l’Empereur a hâte le signal des hostilités, coupant court par son impatience aux pourparlers que