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IMPRESSIONS D'UN COMBATTANT

NOTES DE ROUTE
III[1]

Des événemens qui, dans ce temps où l’imprévu est banal, trouvent moyen d’être tout à fait romanesques, m’ont privé, depuis plusieurs mois, du plaisir de continuer pour mes lecteurs ces petites « impressions de guerre » que je leur avais envoyées d’Alsace. Ce n’est point que les impressions m’aient manqué depuis lors ; elles ont été au contraire à tel point nombreuses et intenses que le temps m’a fait défaut pour les écrire et presque pour les penser. Les choses sont si étrangement organisées sur cette planète que la pensée, du moins la pensée spéculative, et l’action sont presque exclusives l’une de l’autre. De là vient que les hommes qui vivent les aventures les plus étonnantes n’ont point le loisir de les narrer, et que ceux à qui est dévolu l’honneur d’en faire le récit, n’en ont la possibilité que parce qu’ils n’y ont guère été mêlés. Je tâcherai quelque jour de faire une exception à cette règle et l’histoire que je dirai alors tiendra à la fois d’un conte de Voltaire et d’un roman de Jules Verne, — avec, hélas ! le talent en moins. A défaut de cela, ce conte, ce roman aura du moins l’avantage d’avoir été réellement vécu. En attendant, je vais tâcher de donner ici quelques-unes de ces choses vues, quelques-uns de ces tableaux vivans que la guerre fait défiler chaque jour devant mes yeux. Je me

  1. Voyez la Revue du 15 septembre et du 1er novembre 1914.