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obéissance sans réplique, cela paraît incontestable, d’après tous les témoignages concordans. Mais ses desseins ont été arrêtés avec une parfaite tranquillité d’esprit, et non dans l’état de surexcitation maladive qu’on est trop enclin à lui prêter.

Quel homme est-ce donc que Guillaume II ? Est-ce un ambitieux de l’école de Charles-Quint, de Louis XIV et de Napoléon, — de ce Napoléon populaire aujourd’hui à Berlin, où son image est exposée dans les vitrines des magasins plus souvent que celles des rois de Prusse, le vieux Fritz excepté ? Est-ce un prince qui a tenté de réaliser les antiques ambitions de son peuple, car il avait médité les leçons de ses professeurs d’histoire ? « Les Hohenzollern, lui ont-ils dit, sont destinés, après des siècles d’attente, à édifier le grand Empire d’Occident, ébauché par les Ottonides et échafaudé par les Hohenstaufen, et l’Allemagne, unie enfin sous leur sceptre, supérieure en forces, en population, en intelligence, en puissance de production et d’expansion, aux nations dégénérées qui l’entourent, doit marcher résolument à la conquête de l’Europe et de là à la domination du monde. » Tel sera, j’imagine, le jugement porté sur Guillaume II par la complaisance des historiens allemands de l’avenir. Mais, parmi les étrangers, les Belges, à coup sûr, penseront différemment. Ils ne souscriront pas à l’exactitude de ce portrait idéalisé, où sont laissés dans l’ombre des traits jusqu’à présent insoupçonnés d’un caractère que la guerre leur a appris à connaître. Tel qu’il se montrait dans les années qui ont précédé les hostilités à un témoin intéressé à l’observer, l’Empereur causait une sensation d’inquiétude et de crainte, comme une énigme redoutable et impossible à déchiffrer. Aujourd’hui, on ne peut pas séparer l’étude de son caractère des faits qui l’éclairent d’une lumière effrayante. Son image théâtrale apparaît à ses victimes à la lueur de l’incendie de Louvain et de tant d’autres malheureuses cités, sous un jour implacable qui leur montre leur patrie agonisante des coups que sa fureur lui a portés.

Qu’on se figure, se diront les Belges, un souverain, grand par le rang et la puissance, d’une cordialité démonstrative pour les étrangers qu’il voulait éblouir et charmer, mais dont la bienveillance était décevante, si l’on avait l’imprudence de s’y fier ; doué de toutes les apparences de la franchise et qui s’en servait comme d’un moyen de séduction ; ne respectant au fond