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conflits balkaniques. Kiderlen disparu, l’Empereur recommença à diriger la politique extérieure et reprit ses libertés de langage avec les diplomates étrangers. L’ambassadeur ottoman, Osman Nizami pacha, très en faveur auparavant, eut particulièrement à souffrir des cruelles vérités du grand ami de la Turquie, après les premiers désastres de la campagne de Thrace.


VII

Il y a souvent, dans un roi ou dans un homme d’État, plusieurs hommes différens qui apparaissent successivement aux divers âges de sa vie. Bien rares sont ceux qui, taillés dans un bloc immuable, ne varient jamais de la jeunesse à la tombe. Les années, en s’accumulant sur leurs têtes, calment ou endiguent, chez les chefs consciens de leurs responsabilités, les passions de leur printemps. La maturité et l’expérience leur font jeter un regard plus défiant sur les entreprises où ils voudraient employer leurs ressources et leurs efforts. Un phénomène contraire s’est produit chez Guillaume II. En lui l’homme sage et prudent, d’une sagesse et d’une prudence très relatives, il est vrai, n’a pas été l’homme mûr, mais le jeune homme.

Son état de santé fut peut-être, — je l’ai entendu dire, — le facteur d’une dégénérescence morale. En dépit de l’exercice au grand air qu’il prenait assidûment ou à cause même de ses trop fréquens déplacemens et du surmenage qui en résultait, ses nerfs tendus à l’excès s’étaient affaiblis. Le repos quotidien auquel il s’astreignait, en se mettant au lit pendant une heure au moins dans le courant de l’après-midi, ne suffisait plus à rétablir l’équilibre physique nécessaire. Son visage plissé, son teint gris, trahissaient l’usure de sa constitution. Les Allemands, qui ne le voyaient pas fréquemment, étaient frappés du vieillissement prématuré de leur Kaiser. Qui sait, s’est-on demandé, si la diminution de ses forces de résistance n’a pas agi sur sa mentalité ? C’est dans l’affirmative que se prononceraient des physiologistes et des médecins, habitués à calculer les rapports du physique et du moral. Je ne crois pas, quant à moi, à la répercussion que la fatigue et le surmenage auraient pu avoir sur les actes de Guillaume II. Que sa nervosité ait augmenté dans les derniers temps, que son irritabilité croissante l’ait rendu plus difficile à servir, plus impatient d’une