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plaisanteries, comme ses brusques accès de franchise, soit qu’ils fussent prémédités, soit qu’ils échappassent à son humeur impatiente, ont plus d’une fois décontenancé ses auditeurs. Il ne s’en est pas tenu là ; il a pris aussi la plume pour exposer ses idées à des correspondans étrangers, tels que lord Tweedmouth : inspirations presque toujours malencontreuses ! Survint l’aventure bien connue de l’interview impériale publiée par le Daily Telegraph en novembre 1908, après avoir été soumise au prince de Bülow, qui ne se donna pas la peine d’en prendre lui-même connaissance. Elle provoqua une crise qui aurait dû être salutaire, en rendant le souverain moins sûr de soi et plus circonspect dans ses incursions sur le terrain mouvant de la politique étrangère : émotion du public allemand, intervention du chancelier et engagement arraché à l’Empereur, pour apaiser le Reichstag de se tenir dorénavant plus tranquille. « La sensation profonde et la douloureuse impression produite par ces confidences, déclara le chancelier au Parlement impérial, conduiront Sa Majesté l’Empereur à observer à l’avenir, dans ses entretiens privés, cette réserve qui est aussi indispensable pour une politique suivie que pour l’autorité de la couronne. »

Guillaume II avait promis de se taire et il tint parole pendant plusieurs années, mais il ne pardonna pas au prince de Bülow de ne l’avoir pas défendu devant le Reichstag et devant l’opinion publique. Jusqu’à la mort de M. de Kiderlen, survenue à la fin de 1912, il s’abstint de toute ingérence ostensible dans les affaires étrangères. Plus de speechs sensationnels, plus de longs entretiens avec les ambassadeurs sur les questions du jour. Il est vrai que M. de Kiderlen, la plus forte personnalité qui ait paru à la Wilhelmstrasse depuis le départ du prince de Bülow, moins habile que lui dans l’art de déguiser sa pensée, mais plus jaloux de son autorité, à tel point qu’il ne pouvait pas souffrir l’immixtion du chancelier dans son domaine, aurait préféré résigner ses fonctions, plutôt que d’être mené en laisse par l’Empereur comme un bouledogue obéissant. À tort ou à raison, il était considéré comme l’homme indispensable pour appliquer le traité qu’il avait conclu avec la France dans des vues pacifiques, car ce brutal n’était pas un belliqueux. Sa connaissance particulière de l’Orient européen l’aurait fait probablement conserver par son maître, tout au moins pendant la durée des