Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du Cabinet du Quirinal de rester à l’écart du conflit européen, au lieu de marcher sous les drapeaux unis de la Triplice, n’a pas laissé certainement de le surprendre et de l’irriter. Cette ignorance provient du mauvais choix de ses représentans à l’étranger et de sa prétention d’être son propre ministre des Affaires étrangères, comme il est son propre chancelier. Les ambassadeurs sont désignés par l’Empereur lui-même, quelquefois suivant l’engouement dont il se prend pour telle ou telle personne. Des postes très importans ont été confiés ainsi à des mains très inexpérimentées. Les ambassadeurs, dépendant de son bon plaisir, s’efforçaient avant tout de lui plaire, d’entrer dans ses idées, et lui rapportaient des impressions qui correspondaient à son propre jugement. D’où il est résulté que, par suite de l’insuffisance de ses informations de source diplomatique, le gouvernement impérial n’a pas su exactement ce que feraient la Russie, la France, l’Angleterre, le Japon et l’Italie, dans le cas d’une guerre entre la Serbie et l’Autriche, destinée fatalement à ne pas rester localisée. Même incertitude ou mêmes illusions en ce qui concernait le loyalisme des dominions britanniques, le dévouement des princes indiens, l’obéissance de l’Egypte, la fidélité des musulmans dans les colonies françaises. Il n’est pas à supposer, d’ailleurs, que les attachés militaires allemands, espions officiels accrédités auprès des gouvernemens étrangers, se soient montrés plus clairvoyans que les chefs de mission. L’infériorité du personnel diplomatique n’a nulle part été mise plus crûment en lumière qu’à Berlin même, soit dans les discussions du budget des Affaires étrangères, soit dans les articles de la presse libérale, pour ne point parler des journaux socialistes. La presse libérale se plaisait à opposer aux échecs des diplomates de son pays les succès remportés par leurs collègues de France et d’Angleterre ; mais elle se trompait, lorsqu’elle attribuait l’insuffisance de ses compatriotes à leur qualité de nobles de vieille souche ou de bourgeois récemment anoblis. C’est aux choix capricieux de l’Empereur qu’elle aurait dû s’en prendre.

L’Empereur dirigeait lui-même la politique extérieure de l’Empire. Dès les premiers temps, il aimait à causer avec les ambassadeurs et les ministres étrangers et à exprimer librement sa pensée sur les questions les plus délicates, sachant bien qu’aucune de ses paroles ne serait perdue. Ses redoutables