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n’a dû lui causer de ce chef aucun souci. Mais l’erreur la plus grave qu’il ait commise semble avoir été de s’imaginer, sur la foi de rapports qui ne peuvent être que ceux de son ambassadeur, que les Anglais, au début de l’été de 1914, étaient irrémédiablement désunis par leurs querelles irlandaises, à la veille même d’une guerre civile, et réduits par là à une complète impuissance pour une intervention armée sur le continent. C’était donc le moment de tout oser, de tout risquer en Europe. S’il n’en avait pas eu la certitude, l’Empereur aurait-il exposé le commerce allemand si florissant et la flotte allemande inachevée, qui lui était chère comme l’enfant de ses œuvres, à l’effroyable épreuve d’une guerre navale avec l’Angleterre ? Aurait-il compromis aussi légèrement la prospérité économique de son pays, dont la marine marchande était un facteur indispensable ?

Le réveil a été cruel et grand le courroux du monarque désabusé. Nous en avons la preuve dans le message dont il chargea un de ses aides de camp pour sir Ed. Goschen, après la manifestation honteuse à laquelle s’était livrée la population de Berlin contre l’ambassade britannique, à la nouvelle de la déclaration de guerre de l’Angleterre : « L’aide de camp, écrit l’ambassadeur, dans son rapport à sir Ed. Grey, me dit que l’Empereur lui avait prescrit de m’exprimer ses regrets pour les scènes de la nuit précédente, mais d’ajouter que je me ferais par là une idée des sentimens dont ce peuple est animé en ce qui regarde la conduite de la Grande-Bretagne, se joignant à d’autres nations contre ses vieux alliés de Waterloo. » En même temps, Guillaume II annonçait qu’il se démettait de ses titres de maréchal et d’amiral britannique, dont il était fier auparavant. Pour qui sait l’importance et le prix attachés en Allemagne à ces distinctions honorifiques, — que nous serions tentés de traiter de puérilités, — le geste de l’Empereur en dit bien plus que des paroles de colère et d’indignation.


VI

On est étonné qu’il se soit mépris à ce point sur l’état de l’opinion publique et sur les dispositions réelles des gouvernemens dans les pays de la Triple-Entente. Il ne connaissait pas mieux la mentalité des hommes d’État italiens, car la résolution