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professionnel de l’homme d’État, habitué à maîtriser ses nerfs, a fait place à un emportement dramatique.

Il est aisé de s’imaginer, d’après le vivant rapport de sir Ed. Goschen à sir Ed. Grey, la scène historique qui s’est jouée, après la déclaration de guerre de l’Angleterre, dans le cabinet de travail du palais de la Wilhelmstrasse, le 4 août 1914, ainsi que l’attitude des deux acteurs : le chancelier, la face empourprée de colère dans sa barbe grise, sa haute taille penchée vers son interlocuteur, et celui-ci gardant sur ses traits pâles tout son sang-froid britannique. En exhalant son indignation, l’Allemand trouva des phrases plus expressives et plus colorées qu’on ne devait s’y attendre de sa part.

La neutralité belge, un chiffon de papier, a scrap of paper ! Ces mots malheureux resteront toujours accolés à la personne’ et à la mémoire de M. de Bethmann-Hollweg. Cet homme d’une vaste culture, ayant le sens de la justice et du droit à un plus haut degré que beaucoup de ses compatriotes, nous a montré que le respect des traités n’existait plus pour lui, sitôt qu’un avantage stratégique commandait de les violer. L’inviolabilité, l’indépendance et le droit de vivre des petits États n’ont pas plus de valeur à ses yeux que les accords internationaux qui les consacrent. Le même jour, au Reichstag, le chancelier avoua sans détours, — franchise qu’il regrette aujourd’hui, — « que le gouvernement impérial avait commis un attentat contre le droit des gens par l’envahissement de la Belgique. Mais, disait-il, nécessité ne connaît pas de loi, et il cherchait à s’excuser, en prêtant, sans vraisemblance et sans preuves aucunes, un dessein semblable aux Français. Donc la Belgique n’avait qu’à se laisser violer paisiblement ; on l’indemniserait après coup !

Quelle triste désillusion pour ceux qui, croyant connaître M. de Bethmann-Hollweg, ne l’auraient jamais considéré comme un politique sans scrupules ! Il aurait pu être, à défaut d’un grand ministre, le garant de la signature de la Prusse et le gardien de l’honneur du jeune Empire allemand. Un geste de l’Empereur a suffi pour qu’il devint l’apologiste empressé d’un forfait. Son langage dans cette circonstance tragique a été celui d’un homme de cour sans conscience et sans courage, non celui d’un homme d’État. Prendre son parti avec une pareille philosophie d’un acte honteux pour l’Allemagne, ce n’est pas le