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comparables à celles dont a joui son prédécesseur. Il a vécu et il continue de vivre, isolé, au milieu de l’indifférence ou de l’hostilité des partis bourgeois, autrement dit monarchiques. Les libéraux, qui attendaient de lui une réforme promise, mais indéfiniment ajournée, de la loi électorale prussienne, le tiennent en suspicion, aussi bien au Landtag qu’au Parlement impérial. Le centre catholique ne pardonne pas à ce rigide protestant son refus de rendre à l’ordre des Jésuites la liberté d’enseigner, et les conservateurs ne le trouvent pas assez réactionnaire. Ils lui reprochaient surtout, il y a deux ans, la faiblesse avec laquelle il avait abandonné son projet de couverture financière de la dernière loi militaire, pour se rallier au contre-projet radical de la Commission du Reichstag. C’est pourquoi, au commencement de 1914, les jours ministériels de M. de Bethmann-Hollweg paraissaient comptés, lorsque la guerre est venue subitement interrompre les luttes des partis, et la voix du canon a fait taire toute critique dans la presse allemande comme à la tribune du Parlement.

Le chancelier est officiellement le ministre des Affaires étrangères de l’Empire. Mais la politique extérieure de l’Allemagne, la politique mondiale du prince de Bülow, était un champ trop vaste où se serait perdu son successeur, plus versé dans le maniement des affaires intérieures, s’il ne s’était laissé guider par un diplomate de carrière expérimenté, paré du titre de secrétaire d’Etat. Ce furent d’abord le baron de Schoen et M. de Kiderlen ; c’est maintenant M. de Jagow. Le chancelier était tenu toutefois de prononcer au Reichstag, à de certaines occasions, des discours sur la situation extérieure, tableaux brossés à grands traits, qui présentaient, dans un clair-obscur très étudié et soigneusement distribué, les événemens récens les plus importans. Ses discours, appris par cœur, semblaient gris et ternes, ainsi que le comporte sans doute ce genre de littérature. Ils n’avaient pas la clarté remarquable et l’accent de sincérité que sir Ed. Grey a su introduire dans des exposés analogues faits à la. Chambre des Communes.

M. de Bethmann-Hollweg, esprit conciliant, n’était pas dépourvu d’une ample dose de pacifisme. La nécessité d’une longue ère de paix, pour compléter l’admirable épanouissement industriel et commercial de l’Allemagne, ne pouvait pas échapper à sa perspicacité. Aussi est-ce vers lui que s’est