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couronnement du tsar Nicolas à Moscou, le prince Louis de Bavière, — le roi actuel, — fit une vigoureuse sortie, au banquet de la Chambre de commerce allemande, contre un orateur qui s’était avisé de désigner les princes présens à cette fête comme étant de la suite du prince Henri de Prusse, représentant de son auguste frère. Le Bavarois rappela avec véhémence que les princes allemands n’étaient pas les vassaux, mais les confédérés de l’Empereur. L’incident n’est pas encore oublié à Berlin, et cette protestation courageuse valut à son auteur une grande popularité dans l’Allemagne du Sud. Mais avait-il eu raison de parler ainsi ?

A vrai dire, le nouveau roi de Bavière qui dissimule sous des dehors frustes un esprit très fin et très averti, le roi de Saxe au verbe haut, au rire sonore, à l’allure soldatesque, le roi de Wurtemberg, un gentleman des plus corrects, le grand-duc de Bade et les autres dii minores du moderne Walhalla germanique sont les très humbles serviteurs du Kaiser. Ils ont beau échanger avec lui sur un ton d’égalité des télégrammes où le tutoiement chaleureux est de style officiel ; ils ont beau se multiplier et se prodiguer au sein de leurs États respectifs, adresser force discours à leurs sujets et donner de leur personne dans les cérémonies publiques, ils ne sont rien de plus, pour la politique allemande, que les exécuteurs des volontés du maître résidant à Berlin. De même, au Conseil fédéral, leurs délégués reçoivent le mot d’ordre du chancelier et des ministres de l’Empire et votent militairement, à chaque occasion importante, avec leurs collègues prussiens. L’ombre de l’Empereur s’étend sur toute l’Allemagne ; l’unification poursuit son œuvre, en étouffant peu à peu le séparatisme expirant et en nivelant l’empire germanique, tandis que le Reichstag, de son côté, s’efforce de devenir l’unique et réelle assemblée délibérante par ses empiétemens sur les attributions et les privilèges des diètes particulières.

Faut-il en conclure que les maisons régnantes sont inutiles, et que le premier Empereur aurait eu intérêt à les supprimer, si tel avait été son bon plaisir, après les victoires de 1870 ? Je ne le pense pas. Lorsque Bismarck, à l’encontre des vues radicales ou centralisatrices du prince héritier de Prusse, réussit à faire prévaloir auprès du vieux roi Guillaume sa conception d’un Empire fédéral, tel qu’il existe encore aujourd’hui, il ne